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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/251

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souvenir d’un peuple dispersé

corps qui avaient hiverné dans les villages de se rendre en toute diligence sur les bords de la petite rivière Jacques-Cartier, où il les rejoignit.

C’est le 28 avril, au matin, que Lévis fit son apparition à la tête de toutes ses forces, au bord du plateau de Ste.-Foy, en vue de ces mêmes plaines d’Abraham déjà marquées, pour nous, d’un triste souvenir. Nos soldats ne les avaient pas revues depuis le lendemain de leur défaite. Aussi, c’est avec une impression profonde et une ardeur singulière qu’ils gravirent les premières saillies qui conduisaient à cette arène où ils venaient lutter une seconde fois.

Ils étaient mornes en y mesurant leurs premiers pas ; et, malgré la résolution énergique qui les poussait, ils ne pouvaient se défendre de ce certain serrement de cœur qui n’est pas la peur de l’ennemi, mais la crainte des décrets de Dieu quand on va tenter une des grandes entreprises de sa vie, et jouer le sort d’un pays. Oh ! non, ils ne craignaient pas l’ennemi, ceux-là, car dans ce moment, cet ennemi c’était leur but désiré, leur ambition, l’unique ressource laissée à leur salut !… Il n’était pas nécessaire d’animer leur courage pour leur faire accomplir des prodiges ; ils avaient devant eux un champ tout marqué des traces d’un terrible échec qu’il fallait réparer, une terre toute remplie de cadavres qui avaient mal dormi sous les talons des patrouilles anglaises et qui appelaient vengeance !… ils étaient aux pieds de cette citadelle qu’il fallait emporter si l’on voulait rester Français et garder le prestige et les avantages de la victoire ; toute leur espérance se levait donc sur cette plaine, comme une aurore, pour couronner leurs succès, et en y apercevant les Anglais qui venaient au devant d’eux, ils se sentirent reposés de leurs fatigues, et forts comme des athlètes longtemps préparés pour la lutte.

Quelques corps seulement avaient atteint les dernières assises échelonnées autour des hauteurs de Sainte-Foy, et toutes les forces ennemies étaient déjà sur les lieux, rangées en bataille en avant des buttes de Neveu : elles ne s’étaient pas Laissées surprendre.

Murray ne voulut pas donner aux Français le temps d’atteindre les hauteurs et de se développer sur la plaine ; il ne pouvait maîtriser l’impatience de ses soldats ; lui-même avait hâte de se débarrasser de cette poignée de téméraires ; il espérait venir bientôt à bout de ces bandes déguenillées et affamées qui marchaient depuis trois jours et trois nuits, sur des chemins affreux, dans la boue et la neige fondue, à travers les bois et les savanes, sous une pluie froide d’avril, une pluie de Québec !… Ils armaient sans artillerie, n’ayant pu traîner dans les marais de la Suède que trois petites pièces