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souvenir d’un peuple dispersé

— Merci, capitaine, c’est inutile, n’allez pas plus loin… Dieu veut que mon chemin se termine ici… je sens la mort qui monte à mon cœur… veuillez toucher ma main, il me semble qu’elle est froide.

— Oui, répondit celui-ci, elle me paraît se glacer !… Mais ce n’est peut-être que de la faiblesse…

— Oh ! j’aurais voulu vous la donner chaude de toute la vie de mon cœur ; mais je suis encore heureux de pouvoir vous rencontrer et vous dire quelques mots avant de mourir, un adieu d’ami… L’appellerez-vous ainsi, vous ?

Jacques lui serra affectueusement la main, et ne lui cacha pas les larmes qui lui venaient aux yeux. George continua :

— M’avez-vous bien pardonné le mal que ma conduite légère et lâche a pu vous faire autrefois ?…

— Capitaine Gordon, tout a été pardonné le soir où je vous ai vu lancer vos insignes militaires à la figure de Murray.

— C’est vrai ! et vous me l’avez prouvé de suite en me délivrant d’un supplice que vous aviez bien le droit de m’infliger comme aux autres. Veuillez accepter un gage de ma reconnaissance pour votre conduite généreuse, et une preuve que j’ai fait des efforts pour mériter encore votre pardon et votre estime.

En même temps l’officier anglais détacha péniblement son épée, et il l’offrit à Jacques, ajoutant :

— N’en ayez pas d’horreur ; ce n’est pas elle qui a servi à chasser vos compatriotes… celle-ci n’a jamais frappé un Français en traître.

— Oh ! je la reçois comme le souvenir d’un frère d’armes, et si jamais je la porte contre les vôtres, j’espère qu’elle saura distinguer les adversaires nobles et généreux comme vous !…

— Voici maintenant, poursuivit George, une lettre que j’avais prise sur moi, ce matin, espérant que j’aurais l’occasion de vous la faire parvenir… elle vous servira peut-être à retrouver Marie.

En achevant ces mots, il la tira de la poche de sa veste ; elle se trouva toute inondée de sang, et elle portait à un angle la trace d’une des balles qui avait blessé George :

— Si vous la recevez, et si vous pouvez la lire, vous voyez que vous ne pourrez pas en remercier votre bataillon.

— Et vous devez avouer que vous n’avez pas cherché à la mettre à l’abri de nos coups, répondit Jacques.

Il passa un léger sourire sur la figure de George ; et ce fut le dernier de sa vie ; car aussitôt après, sa voix s’altéra sensiblement et il fallut le soutenir, car il s’affaissait ; sa figure prit cette teinte de profond recueillement qui semble refléter l’éternité. Faisant signe