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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/265

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souvenir d’un peuple dispersé

pestiférées de la Louisiane ! Telle est leur résolution ; ils n’étaient pas quatre mille hommes contre cinquante mille adversaires ! En vérité, on dirait des Titans pour qui le monde n’avait que l’espace d’une enjambée !

Merci, nos pères ! vous avez fièrement illustré notre défaite ; votre héroïsme !… c’est un grand héritage que vous nous avez laissé dans notre infortune. Faut-il s’étonner si les Anglais, après la paix, trouvaient encore tant d’orgueil dans ces gentilshommes nécessiteux qui passaient devant eux avec mépris dans les rues de Québec ?… Le joug n’abâtardit pas sitôt les héros de semblables épopées. Merci, nos pères ! Ah ! nous avions bien besoin, dans la carrière pénible qui allait s’ouvrir devant nous, du spectacle de vos vertus et de vos exemples, et vous en avez été prodigues. Et, aujourd’hui, dans ces temps mauvais où des défections déplorables nous humilient tous les jours, où une légion d’autres Bigot s’apprêtent à vendre ce grand héritage de gloire que vous nous avez transmis, pour les oripaux d’un petit pouvoir, ou les miettes qui tombent de la table d’une bureaucratie délétère… nous avons besoin de relire notre histoire pour nous sentir de l’orgueil national, encore !…

Mais la fortune ne permit pas même à nos pères d’atteindre le but suprême de leur résolution désespérée, et le chemin du Mississipi leur fut encore fermé.

Pendant que Lévis courait a tous les points menacés, ranimait le courage des soldats, demandant de nouveaux sacrifices aux villageois épuisés, les trois armées anglaises entrées en campagne convergeaient vers l’île de Montréal : celle de Murray et Bollo par le bas du St.-Laurent, celle d’Haviland, par le lac Champlain, celle d’Amherst par le haut St.-Laurent. Pouchot, le vaillant défenseur du fort Niagara, arrêta pendant douze jours, avec deux cents hommes, toute la division du général en chef, devant le petit fort Lévis, une bicoque située au-dessous du lac Ontario. Cette division d’Amherst comptait onze mille combattants. Pendant ce temps-là, Murray passa devant le fort Jacques-Cartier, et brûla Sorel ; Haviland occupa l’Île-aux-Noix et St.-Jean, abandonnés successivement par Bougainville ; et quelques jours après, Montréal se vit investi par les trois corps d’invasion. Cette ville n’était alors qu’un gros bourg, ouvert aux quatre vents, protégé simplement contre les flèches des sauvages.

Il n’y avait plus de résistance possible ; il ne restait de poudre que pour un combat, et nous n’avions de nourriture que pour quinze jours.