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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/275

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souvenir d’un peuple dispersé

fourré pour tourner quelques mauvais pas, et aussi, pour éviter la rencontre de quelques bataillons anglais qui rejoignaient l’armée de Montréal. Quoique Jacques fût pourvu d’un acte qui faisait foi de son allégeance, il pouvait fort bien arriver que les conquérants missent des entraves à son voyage. Il fut donc bienheureux, quand, arrivé dans les environs de la petite rivière de Montréal, qu’on appelle communément aujourd’hui rivière de Lacadie, il trouva un sentier de traverse qui pénétrait à droite dans le cœur de la forêt, et qui, selon les indications du Père Jésuite, devait le conduire directement aux premiers établissements acadiens.

Cependant, il n’eut pas meilleure fortune dans le sentier que sur la grande route ; celui qu’il poursuivait avec tant d’ardeur ne s’offrit pas plus à son regard. Le soleil baissait rapidement, et sous l’épaisse feuillée, il faisait déjà soir. Ignorant les lieux et les distances, dans ce pays inconnu, Jacques craignit de s’égarer et d’être obligé de revenir sur ses pas, et il se demanda souvent comment le missionnaire avait pu franchir si rapidement un pareil chemin, ou par quel charme il avait pu tromper sa poursuite. Wagontaga fit observer qu’ils ne rencontraient sur le sol aucunes pistes bien récentes.

— Allons ! hâtons-nous encore s’il est possible, lui dit son compagnon.

Ils marchèrent encore quelque temps avec cette inquiétude, puis après quelques milles parcourus, ils remarquèrent que les lueurs du soleil couchant arrivaient plus librement sous les voûtes impénétrables de la futaie ; ils touchaient à la lisière d’une prairie de castor, ou bien à une éclaircie faite par des défricheurs… Ils s’arrêtèrent plus volontiers à cette seconde conjecture, et ils eurent raison. C’était l’abord d’un premier hameau qui se dévoila bientôt après : quelques arpents de chaumes ; une cabane couverte en paille ; une hutte pour les bêtes ; un meulon de foin ; une femme assise au seuil de sa porte ; quelques petits enfants occupés à fagoter près d’un bûcher de bois vert ; une colonne de fumée qui montait dans la lumière rose du soir, partant d’un trépied sur lequel mijotait le souper ; une vieille haridelle, naguère superbe cavale qui avait échappé aux boulets des Anglais et à la dent de ses compatriotes, et qui se délectait maintenant en broutant sans partage l’herbe de son champ et en mirant ses nobles infirmités dans la rivière qui passait auprès : voilà quel était tout le tableau. Jacques n’en fut pas moins enchanté.

En apercevant le sauvage, les enfants puis la mère rentrèrent dans la maison. Ce pauvre réduit ne les mettait pas, pourtant, à