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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/294

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jacques et marie

— Il ne leur pardonnera pas, lui !

— Quand il était sur le calvaire, il a pardonné aux Juifs.

— Oui, mais il gardait son éternité de justice pour les punir.

— Pauvre infortuné, ah ! ne parlez pas ainsi ; ne savez-vous pas qu’en cessant d’être homme et malheureux, vous aurez aussi l’éternité de la justice divine pour venger votre innocence ? La vie de Jésus-Christ n’a été sur la terre qu’une holocauste d’expiation ; si, en mourant, il lui restait une éternité de toute-puissance pour châtier ses bourreaux, il leur laissait éternellement son sang pour laver leur crime et mériter sa miséricorde ! Dieu n’est venu donner aux hommes qu’une loi d’amour, il ne leur a pas laissé le droit de haïr et de juger pour l’éternité ; c’est un droit réservé à sa souveraine justice ; il est venu apprendre aux faibles, aux dépossédés de la terre, à ceux qui ont souffert, à tous les hommes enfin, comment il faut vivre et mourir ; il se réserve de vous dire, là-haut, comment il faut juger !…

Le père Hébert s’était d’abord levé jusque sur ses genoux, comme pour se roidir contre cette nécessité du pardon suprême imposé par la religion ; il tenait les mains jointes, son regard enflammé se tournait vers le ciel ; mais peu à peu les paroles du prêtre firent courber son front, ébranlèrent tout son être ; il trembla, et quand il n’entendit plus parler, il articula lentement ces mots d’une voix déchirante :

— Ma sainte femme, mes enfants, mes petits-enfants, qui êtes aux cieux, vous savez par vos yeux de bienheureux si mon cœur est encore rempli de vos douleurs et des injustices que vous avez souffertes ; eh bien ! entendez-moi devant Dieu : je pardonne aux Anglais, pour vous et pour moi.

— Et moi, dit le religieux, je vous bénis au nom de Jésus-Christ… .............................. Le dernier effort de cette vigoureuse existence était accompli : c’était le plus difficile que la Providence avait exigé du vieillard ; à peine l’eût-il fait, qu’il tomba dans les bras de ses enfants, qui recueillirent dans un tendre embrassement son dernier soupir.


XI.

Deux jours après, on vit un cortège funèbre s’avancer lentement sur les bords de la petite rivière, à l’ombre d’une avenue d’ormes gigantesques. L’humble bière de bois brut était portée par les