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souvenir d’un peuple dispersé

— Ah ! monsieur le capitaine, c’est beaucoup trop… beaucoup trop…

— Mais je ne le crois pas ; car on n’avait pas seulement détérioré votre propriété, on vous avait fait aussi un grand chagrin ; vous aviez droit par conséquent à un plaisir compensatoire, j’ai imaginé celui-ci…

— Ah ! monsieur, c’est trop de délicatesse, et… mais… et Marie resta plus que jamais embarrasée.

— Mais… interrompit George, peut-être n’ai-je pas réussi ?

— Oh ! oui, je vous suis très-reconnaissante… mais j’aurais été assez indemnisée par ce que vous aviez déjà fait.

— Voyez, reprit le capitaine, qui commençait lui-même à se décontenancer : on a rempli les deux pans de côté de votre vestibule en claire-voie ; vous pourrez y faire grimper des vignes sauvages et du chèvre-feuille ; j’ai fait donner assez de profondeur aux balcons pour qu’ils puissent recevoir facilement plusieurs pots de fleurs : vous placerez là des géraniums, des héliotropes, de la mignonette, des œillets, et en ajoutant quelques pieds de pois d’odeur, tout cela composera un parfum qui ne sera peut-être pas désagréable à respirer, à vos heures matinales ?

Marie se taisait ; ce parfum réjouissant n’avait aucun effet sur elle ; il ne ramenait pas le sourire dans ses deux grands yeux nuancés de tristesse qui se promenaient sur toutes ces jolies nouveautés, elle semblait chercher la vieille demeure sous son travestissement de jeunesse.

George se rappela la fameuse bouche charmante et resta désolé. Il accompagna pourtant la jeune fille, qui s’était mise à marcher machinalement autour de sa propriété. Quand ils furent revenus sur leurs pas, celle-ci fit un effort pour dire à son cavalier : — C’est bien joli… c’est un cottage anglais, je crois ?…

— Oui, mademoiselle ; et cela ne vous convient pas, je le vois bien.

— Monsieur George, je vous prie de me pardonner un sentiment que vous trouverez peut-être futile, mais que je ne puis pas maîtriser : cette vieille demeure était un souvenir bien cher pour moi, je l’aimais avec sa pauvre porte, ses volets rouges, avec toute sa simplicité d’autrefois. Que voulez-vous, j’aime mes souvenirs, moi, et je n’avais pas encore songé à les varier ou à les rajeunir… Tous ces beaux changements m’ont trop surprise… Si vous m’aviez parlé d’avance, je vous aurais épargné tant de soins et de temps perdus.

— Les soins et le temps perdus pour vous, mademoiselle, ne sont