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jacques et marie

rien, dit George en tendant sa main à Marie ; seulement, je suis désolé de vous avoir causé de la peine ; vous voyez au moins que ce n’était pas mon intention. — Il appuya sur ces derniers mots ; puis, il salua profondément. En s’éloignant il laissa des ordres à ses ouvriers, échangea quelques paroles avec la veuve Trahan ; ce qu’elle lui dit fit passer un nuage sur sa vue ; il était évidemment affecté.

Une heure après son départ, la maison avait repris ses allures d’autrefois : comme une de ces vierges folles et surannées qui se sont masquées de jeunesse durant un jour de carnaval pour causer quelques dernières mystifications, l’antique chaumière se retrouva avec ses années et ses lésardes.

Les gens de la ferme ne savaient que dire ; la tristesse était générale. On s’était promis une fête autour de Marie, et tout ceci ressemblait à un enterrement. Pierriche faisait entendre une exclamation à chaque flèche qui tombait sous la hache des menuisiers, et quand celle de la girouette s’écroula, il faillit écraser lui-même ; car il s’était bien promis d’aller faire, tourner quelquefois la queue du coq contre le gré du vent. Aussi ne put-il retenir une réflexion :

— C’est-il triste de laisser détruire ainsi une espèce de chateau ! Notre maîtresse, vous qui êtes née pour vivre dans les châteaux : ça aurait été si joli de vous voir dans votre fenêtre, à travers les pois d’odeur, comme disait monsieur l’officier anglais ! Et moi, ça ne m’aurait pas fait paraître plus chétif, les pois d’odeur !…

— Oui, il me semble, dit sa mère à mademoiselle Marie, que vous auriez pu conserver ces améliorations… Si vous saviez comme ce pauvre monsieur George avait du chagrin : lui, le seul Anglais qui soit bon pour nous !

— J’en suis aussi chagrinée pour lui ; mais croyez-vous que Jacques eût été bien fier d’apprendre que ce bel Anglais s’était chargé de lui bâtir en partie sa maison pendant son absence. Vous savez comme il les déteste tous. Cela n’aurait pas été pour lui une agréable surprise.

— Pourquoi pas ? dit Pierriche ; un château est toujours un château ; qu’il vienne de monsieur George ou d’Adam, ça fait toujours plaisir d’en avoir un, surtout quand on prend la châtelaine avec.