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souvenir d’un peuple dispersé

visage dans ses deux mains. Il cherchait à se recueillir pour prendre une résolution.

Il resta longtemps ainsi ; après quoi, prenant une feuille de papier, il écrivit fermement trois pages, les ploya et mit dessus l’adresse de Marie ; puis il sortit, apportant avec lui la lettre.


XIX

Enfin, les grands événements étaient près de s’accomplir. Pendant cette lutte secrète de deux cœurs, dans le petit bourg de Grand-Pré, il s’en était préparée une qui devait agiter durant huit ans l’univers entier : pendant que ce jeune Anglais essayait de conquérir l’affection de cette fille de la France, les deux nations s’étaient armées pour le combat suprême.

Comme on n’avait pas compté sur la Commission des frontières pour régler les difficultés entre les deux peuples, on n’avait pas attendu son jugement pour commencer les hostilités.

On sait ce qui eut lieu dans la première partie de l’année 1755. L’amiral Dubois de Lamothe avait laissé Brest dès le mois d’avril pour venir porter des secours à la colonie ; l’amiral Boscowen quitta Plymouth à peu près dans le même temps pour lui fermer l’entrée du St. Laurent ; mais il ne put réussir dans son dessein : deux vaisseaux seulement de la flotte française tombèrent entre ses mains. On se vengea de cette déception sur les navires marchands ; il en fut pris trois cents qui voguaient, confiants dans les lois de la paix qui n’étaient pas encore régulièrement suspendues.

Peu après, le colonel Winslow débarqua en Acadie ; il avait ordre de déloger les Français de toutes les positions qu’ils tenaient sur l’isthme de Beau-Bassin et dans les environs, Sa mission fut couronnée de succès ; tous les forts furent emportés ou détruits.

Au Canada, De Beaujeu défit Braddock près de la Monongahéla, et cet échec des Anglais exaspéra toutes leurs colonies.

Après la prise des forts Beauséjour et Gaspéreau, la campagne se trouva terminée en Acadie, et les pacifiques habitants de Grand-Pré durent se féliciter de voir les furies de la guerre s’éloigner de leurs foyers ; car ils ne gardaient qu’un bien faible espoir de rentrer sous l’empire de la France. Cependant ils ne demeurèrent pas sans inquiétude sur leur avenir. On n’avait pas requis leurs services dans ces premiers engagements, mais il restait bien des