Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
jacques et marie

batailles à livrer… D’ailleurs, on avait appris que trois cents Acadiens avaient été pris les armes à la main sous le commandement de M. de Vergor. Il est vrai que ces malheureux avaient été forcés de s’enrôler dans le corps de ce misérable commandant, et qu’ils avaient été graciés après la capitulation ; mais le défenseur du fort Beauséjour avait exigé cette grâce, en rendant la place, et l’on devait penser que des maîtres qui menaçaient de mort pour les moindres infractions à leurs ordonnances, reviendraient plus tard sur ce pardon intéressé.

On vit bientôt arriver des renforts de troupes dans tous les petits villages du Bassin-des-Mines ; des vaisseaux de guerre vinrent jeter l’ancre en face de ces demeures agrestes qui n’abritaient que la paix et la bienveillance. Le colonel Winslow, le vainqueur de Beauséjour, vint établir sa résidence au presbytère de Grand-Pré. On remarqua un mouvement inaccoutumé de courriers entre Halifax et tous les centres de population, et l’on se demanda ce que signifiaient tous ces soldats, toutes ces patrouilles, tous ces préparatifs, toutes ces dépêches à propos de gens désarmés et qui se trouvaient, plus que jamais, privés de tous secours de leur ancienne patrie. Les natures confiantes, ceux qui avaient quelques rapports avec le gouvernement, les nouvellistes bien renseignés répondirent que les troupes venaient tout simplement prendre leurs quartiers d’hiver là où elles savaient trouver plus facilement à vivre. La chose était vraisemblable ; on ignorait les coutumes de la guerre ; on avait l’âme encore ingénue ; on crut facilement et l’on resta tranquille.

Mais voilà que, le 2 septembre, des pelotons militaires se mettent à parcourir les champs et les villages, au son du tambour ; ils distribuaient dans toutes les maisons une proclamation du colonel Winslow. Voici quelle en était la teneur :

« Aux habitants du district de Grand-Pré, des Mines, de la Rivière-aux-Canards, etc., tant vieillards que jeunes gens et adolescents.

« Son Excellence le gouverneur nous ayant fait connaître sa dernière résolution concernant les intérêts des habitants, et nous ayant ordonné de la leur communiquer en personne ; Son Excellence étant désireuse que chacun d’eux soit parfaitement instruit des intentions de Sa Majesté, qu’elle nous ordonne aussi de leur exposer telles qu’elles lui ont été confiées : en conséquence, nous ordonnons et enjoignons strictement, par ces présentes, à tous les habitants tant du district sus-nommé que de tous les autres districts, aux vieillards comme aux jeunes gens, de même qu’aux enfants au-dessus de dix ans, de se rendre dans l’église de Grand-Pré, vendredi le 5 du courant, à 3 heures de l’après-midi, afin que nous puissions