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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/76

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jacques et marie

En attendant le retour des féaux,
Morne, dolente, ainsi resta la belle,
Prêtant l’oreille aux clairons des hérauts,
Suppliant l’air d’apporter la nouvelle.

Au couvre-feu se fit entendre enfin
Un bruit de fer au loin dans la campagne,
Des pas pressés qui brûlaient le chemin,
Des troubadours qui chantaient la Bretagne…
« Abaissez vite, au-devant du vainqueur,
Les ponts levis, cria la châtelaine.
C’est lui ! c’est lui ! il revient, mon seigneur,
Il n’est pas mort, j’entends sa voix lointaine. »

« Accourez tous, mes pages, mes valets,
Préparez-lui sa tunique de soie,
Apportez-moi les bons vins, les bons mêts,
Mon luth d’argent, je veux chanter ma joie,
Baiser son front au milieu de ses preux,
Mettre à son cou mon écharpe de reine ;
Mon Beaumanoir revient victorieux,
Bembro l’Anglais est couché sur l’arène ! »

Bientôt au seuil de l’antique manoir
Caracola la noble cavalcade.
Qu’il était beau, le sieur de Beaumanoir,
Celui que chante en tous lieux ma ballade !
Qu’il était beau, le chevalier breton,
Quand, détachant de dessus sa cavale
Du chef anglais le sanglant écusson,
Le mit aux pieds de sa dame féale !

« Salut, salut, haut et puissant seigneur !
Dit notre belle en répandant des larmes,
Dans ce grand jour votre bras est l’honneur
De la Bretagne ! et la France et nos armes
Ont fait par vous trembler encor l’Anglais.
Sire, acceptez le prix de la vaillance,
Et le baiser des champions courtois. »
Et chacun dit : — « Vive le roi de France ! »

« Et vous, dit-elle, écuyers et barons,
Brillante fleur de la chevalerie,
Les troubadours iront chantant vos noms
De Ploermel aux déserts d’Illyrie ;
Et notre roi mettra sur vos écus
Le lys d’argent des souverains de France,
Et l’on verra des ennemis vaincus,
S’enfuir au loin l’audacieuse engeance. »