La châtelaine, après ce beau discours
Et le baiser reçu vif sur sa bouche,
S’alla vêtir de ses plus beaux atours
Et préparer le repas et la couche
De son époux. Messire Beaumanoir
Disait aux preux en regardant la dame :
« Quelqu’un de vous a-t-il jamais pu voir
De par le monde une plus noble femme ? »
Si vous voulez des chevaliers français
Nourrir la gloire, exciter les prouesses
Et environner leurs travaux, leurs haut-faits,
Ecoutez-moi, filles, dames, duchesses :
Ayez amour pour les exploits guerriers,
Ayez vertu sans trop de pruderie,
Aux fronts vainqueurs déposez des lauriers
Et le plus pur de vos chastes baisers ;
Dans vos chansons célébrez la patrie,
Notre roi Jean, notre chevalerie !
Marie ne put pas arriver au bout de sa ballade ; le sentiment qui lui en avait imposé le choix fit sans doute bientôt place à un autre ; car à mesure qu’elle chantait, sa voix limpide et vibrante s’attendrit peu à peu ; au troisième couplet, elle trembla ; au quatrième, quand elle articula ces vers :
« C’est lui, c’est lui, il revient, mon seigneur ;
Il n’est pas mort, j’entends sa voix lointaine ! »
l’air expira dans ses sanglots. Fort heureusement pour M. George ; car s’il eût entendu la fin de la pièce, il en aurait ôté tout à fait offensé. Il méditait déjà sur le motif probable qui avait si mal inspiré la chanteuse, et il se proposait de lui demander si elle ne savait pas, par hasard, quelques chants semblables composés sur la bataille de Poitiers, autre événement fameux arrivé sous ce bon roi Jean. Mais l’émotion de Marie et le malheureux succès de la ballade calmèrent son dépit. Il avait attaché machinalement son regard sur le feu de joie, il ne le détourna pas même pour juger quelle impression avait pu saisir la jolie maîtresse.
Cet incident finit de tuer la conversation. Ceux qui auraient désiré fournir un sujet assez intéressant pour fixer l’attention géné-