Aller au contenu

Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
souvenir d’un peuple dispersé

jours !… toujours !… Et la jeune fille fit un effort terrible pour s’enfuir ; mais George la retint : — Non, non, Marie, ces mains qui vous arrêtent sont celles d’un ami, d’un protecteur ; des mains qui ne voudraient trahir que pour vous sauver ! — Elle n’entendit pas ces paroles, elle était tombée de nouveau sur les degrés de pierre.

Dans ce moment, la torche brûlée jusqu’au bout s’éteignit, laissant, confondus dans les mêmes ombres, l’officier, la fiancée de Jacques, le bosquet de saules pleureurs, et la croix noire. À de petites distances, on voyait encore luire les feux mourants des bivouacs ; mais leurs rayons n’arrivaient pas jusqu’au tertre solitaire. George ne pouvait s’éloigner pour chercher de la lumière ; il craignait que quelques autres soldats ne passassent par là ; d’ailleurs, il était irrésolu, accablé. Dans cet état il chercha la croix, et quand il l’eut, trouvée, il l’entoura de ses bras et il s’appuya dessus ; et si quelqu’un avait pu percer les ténèbres qui l’environnaient il l’aurait vu, à genoux, les mains jointes priant comme on priait à Grand-Pré.

Dans les jours d’isolement, de dégoût de la terre ; dans les jours où l’abandon et l’oubli des hommes, où l’injustice et les chagrins cuisans vous assaillent et vous écrasent, quand le sentier où l’on marche vers un but de prédilection semble céder à chaque pas sous nos pieds, comme dans un cauchemar, quel est l’homme sensible, qu’elle est l’âme venue de Dieu qui n’a pas senti naître en elle une prière ? Il y a des moments où la vie a besoin d’être ravivée dans la source divine d’où elle découle, pour ne pas être abîmée dans ses accablements. Heureux ceux qui se rappellent alors leur sublime origine et qui sentent encore ce suprême tressaillement de l’immortel amour, cet élancement du cœur qui est la prière. Quel bienfait que la prière ! elle naît en tout lieu, surtout dans les cachots, dans la cabane désolée, dans les déserts, dans la pauvreté, dans la douleur, elle a toujours une voie ouverte vers le ciel ; elle trouve Dieu partout, tout près des lèvres de celui qui souffre ; qu’elle soit un balbutiement, un soupir, un regard, une pensée elle arrive à celui qui a dit : « Vous m’appellerez votre père. »

George s’y abandonna longtemps.


XXV

Le froid de la nuit, mais surtout la forte rosée du matin qui vint ruisseler sur le front de Marie, ranimèrent peu à peu ses sens et sa