Page:Bourette - Le Silo, 1880.djvu/18

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Là j’ai longtemps souffert, là j’ai longtemps pleuré :
Tantôt je demeurais immobile, égaré,
Les bras croisés, l’œil fixe et la prunelle ardente,
Et tantôt je tournais dans ce cercle du Dante,
Comme ce prisonnier qui creusait un sillon
Autour du vieux pilier du cachot de Chillon…
Pardonne, ô grand martyr, si je mêle sans crainte
Ma profane douleur à ta douleur si sainte !
Je n’ai pu comme toi souffrir avec fierté,
Rendu fort par ces mots : Patrie et Liberté !
J’étais seul, oublié dans un réduit immonde ;
J’avais soif, j’avais faim. La nuit, lorsque la ronde
S’approchait du Silo, des groupes curieux
Se penchant sur le trou passaient silencieux.
Jamais le doux sommeil, ce voile salutaire
Où viennent s’assoupir les chagrins de la terre,
— De la pitié céleste œuvre pleine d’amour,
Offerte comme un baume aux fatigues du jour,
Ne vint, pendant longtemps, de son aile bénie,
Chasser les noirs ennuis de mon âpre insomnie.
Bientôt je perdis tout, souvenir, sentiment ;
Dévoré par la fièvre et par l’isolement,
Dans le coin le plus noir de l’argileuse alcôve,
Je restais accroupi comme une bête fauve.
À de certains moments, j’ignorais en effet
Si j’étais homme, ainsi que le ciel m’avait fait.
Qui m’eût vu me traîner à deux mains, dans la boue,
Sans un débris de paille où reposer ma joue,
Et blotti quelque part ainsi qu’un pauvre chien,
Sans mentir à son âme, eût douté d’un chrétien !

Un jour je fus malade, on vient, on m’examine
Par le haut du Silo : — Mais il a bonne mine,