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le mystérieux monsieur de l’aigle

femme et il fit deux ou trois pas en arrière, tandis que, de la main, il ébauchait le geste de repousser Magdalena. Quelque chose, une expression inexplicable parut dans ses yeux et ses lèvres entr’ouvertes laissaient passer son souffle pressé.

— Claude ! Claude ! supplia Magdalena, en s’élançant vers son mari.

— Non ! Non ! N’approche pas ! s’écria-t-il. Tu aurais dû me dire, reprit-il ; jamais je…

Mais il se tut subitement. Son visage était devenu rigide, et ses yeux, fixés sur la jeune femme, semblaient, à l’imagination surexcitée de celle-ci, devenir de plus en plus grands, de plus en plus sombres, à chaque instant.

— Mais, mon Claude… parvint-elle à balbutier.

Il ne proféra plus un seul mot ; seulement, il jeta sur sa femme un regard vraiment étrange, puis, tournant vivement sur son talon, il quitta la bibliothèque et bientôt la maison.

— Jamais il ne me pardonnera ! Il me méprise… Il me hait… Ô mon Dieu ! sanglota Magdalena, en proie à un immense désespoir.

IX

ÂME TORTURÉE

Elle ne fit pas de scène. Elle ne versa pas une seule larme. Elle avait le cœur brisé, tout simplement. Claude ! Son Claude ! Il l’avait repoussée… Il n’avait pu pardonner à Magdalena de l’avoir épousé, sans le mettre au courant du drame de jadis… Quoique son père eut été innocent, il était mort sur l’échafaud, et Claude de L’Aigle, si fier, si… si correct, ne pouvait l’oublier…

Ce pauvre Claude ! Sans doute, il considérait qu’on l’avait trompé ; plus que cela, qu’on lui avait tendu une sorte de piège, en gardant le silence, et il en voudrait toujours à sa femme et à Zenon Lassève de n’avoir pas dévoilé le passé, alors qu’il en aurait été temps encore…

Domptant, le mieux qu’elle le put, le besoin de pleurer, Magdalena se dirigea vers la chambre de Claudette. Rosine et Suzelle étaient à causer ensemble dans le boudoir, dont la porte était presqu’entièrement fermée. Les deux jeunes filles parlaient de la petite ; des progrès marquants qu’elle faisait, chaque jour. La jeune mère eut un sourire attendri, puis, s’agenouillant auprès du berceau, elle éclata en sanglots. Et c’est alors qu’elle eut une des plus grandes tentations de sa vie : celle de partir avec son enfant ; de quitter L’Aire, cette nuit-là même et pour toujours ; de retourner à La Hutte, où Zenon et Séverin les accueilleraient, toutes deux, si joyeusement… Là, à La Hutte, elle n’aurait à craindre ni les regards froids, ni les sourires méprisants, ni les reproches… Car elle était convaincue que Claude allait la mépriser profondément, désormais ; qu’il refuserait de comprendre comme elle l’aimait, comme elle l’avait toujours aimé ; il se dirait qu’elle l’avait épousé, malgré leur différence d’âge, non par amour, mais par intérêt, et aussi pour effacer le passé et le nom qu’elle avait porté… ou plutôt, celui qu’elle aurait dû porter…

Oui, elle partirait, avec Claudette ! Il est vrai que cela créerait un scandale ; une femme ne quitte pas le toit conjugal, sans retour, à moins d’avoir une raison grave pour ce faire, et toujours, c’est elle, la femme, qui est blâmée… Mais pouvait-elle continuer à vivre sous le même toit que Claude maintenant qu’elle était sûre qu’il ne l’aimait plus ? Elle attendrait cependant, et quand tout dormirait, à L’Aire, elle s’enfuirait, emportant son enfant dans ses bras… Pauvre chère petite Claudette ! Sans doute, elle aussi serait considérée de trop dans la maison maintenant !

Soudain, elle sourit amèrement et une expression quelque peu ironique parut dans ses yeux : à quoi pensait-elle ? Fuir ? S’en aller ? Ah ! Elle n’avait qu’à attendre au lendemain et Claude lui suggérerait la chose lui-même. Il s’arrangerait pour avoir une entrevue avec sa femme et, froidement, il lui dirait de s’en retourner… d’où elle venait… Bien sûr, il ne l’empêcherait pas d’emmener Claudette avec elle, quoiqu’il aimât l’enfant à la folie… Eh ! bien, elle attendrait au lendemain ; ça serait de beaucoup préférable et on éviterait une esclandre en agissant ainsi.

Retournant dans sa chambre à coucher, elle résolut de se mettre au lit. Non qu’elle eut le moindrement sommeil — loin de là — mais elle souffrait d’un léger mal de tête, et puis… et puis… que ferait-elle, seule toute la veillée ? Car Claude était rentré ; elle l’avait entendu marcher dans la bibliothèque, en bas… Certes, elle ne s’était pas attendue à ce qu’il vint lui parler ; mais son indifférence… oh ! que son indifférence la blessait au cœur !

Magdalena fondit en larme, et longtemps elle pleura. Ces larmes la sauvèrent de quelque grave maladie peut-être ; chose certaine, c’est qu’elles soulagèrent sa pauvre âme torturée.

Elle se coucha ; mais elle ne dormit guère. Lorsque son mari monta dans sa chambre, qui n’était séparée de celle de sa femme que par un boudoir, il passait minuit. Cependant, elle en eut connaissance et elle enfouit son visage dans ses oreillers, afin qu’il n’entendît pas ses sanglots.

Ce ne fut que vers les cinq heures du matin qu’elle put dormir enfin. Elle venait de passer la plus affreuse nuit imaginable ; une nuit qui laisserait ses traces tant qu’elle vivrait. Elle avait revécu le passé ; elle avait essayé d’envisager l’avenir le plus froidement possible. Et puis, elle avait pris des résolutions pour le lendemain ; ces résolutions elle les tiendrait. C’est pourquoi, lorsque sonna la première cloche pour le déjeuner, elle se leva et commença à s’habiller. Cependant, en se regardant dans une glace, elle fut vraiment tentée de rester dans sa chambre, car elle était pitoyable à voir : les yeux cernés de bistre, les joues pâles, les lèvres blanches… De se voir ainsi, cela lui rappela la nuit où elle s’était éveillée dans son cercueil ; lorsqu’elle s’était vue, dans un miroir, cette nuit-là, elle s’était fait peur à elle-même… elle ne s’était pas reconnue…

Mais, qu’importait, cette fois ! Qu’elle parut bien ou mal, qu’est-ce que cela signifiait,