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le mystérieux monsieur de l’aigle

puisque Claude ne l’aimait plus, qu’il la méprisait, qu’il la haïssait même ?

Allons ! La dernière cloche du déjeuner venait de sonner, Magdalena avait entendu Mme d’Artois quitter sa chambre et descendre précipitamment l’escalier, craignant d’être en retard sans doute.

À son tour, la jeune femme descendit dans la salle à déjeuner. À son arrivée, Claude et Mme d’Artois, qui étaient à causer ensemble, se turent subitement et la regardèrent avec un sympathique étonnement. Magdalena le savait bien, elle était changée à faire peur.

Ainsi qu’il avait toujours l’habitude de le faire. Claude alla au-devant de sa femme et lui présenta le bras afin de la conduire à son siège, après quoi il dit à Eusèbe :

— Apporte un verre de vin à Mme de L’Aigle.

— Non ! Non ! protesta Magdalena.

— Un peu de vin vous fera du bien, j’en suis sûre, intervint Mme d’Artois en s’adressant à Magdalena. Votre mal de tête a dû vous faire passer la nuit blanche… J’espère que vous vous sentez mieux, ce matin ?

Magdalena le comprit, Mme d’Artois parlait pour la galerie, ou, du moins, pour Eusèbe ou pour tout autre domestique qui se serait trouvé aux alentours de la salle à déjeuner. La dame de compagnie devait se rappeler de ce que la jeune femme lui avait dit, la veille ; c’est-à-dire qu’elle allait tout avouer à son mari, et elle devait deviner que les choses ne s’étaient pas passées ainsi qu’elle l’avait espéré.

Le vin mit un peu de couleur aux joues et aux lèvres de Magdalena ; mais elle ne put avaler une seule bouchée. Elle but seulement quelques gorgées de café, puis, après le déjeuner, qui fut silencieux, au lieu d’accompagner son mari aux écuries, comme elle le faisait d’ordinaire, elle monta dans son boudoir et là, elle se livra à de douloureuses réflexions… Que lui réservait cette journée qui venait de commencer ? Sans doute, il y aurait des explications entre elle et son mari et… Probablement, Claude la ferait demander, ou il monterait la trouver dans son boudoir, et il lui dirait froidement de s’en aller. Car la vie ne serait plus tenable, à L’Aire maintenant ; son mari la méprisait, il la haïssait ; il valait mieux cent fois se séparer…

À cette pensée d’une séparation toute proche, elle versa des larmes amères. Il n’y avait pas encore deux ans qu’ils étaient mariés, et déjà, c’était fini leur bonheur ; ce bonheur si grand dont ils avaient joui depuis leur mariage !

Eh ! bien, elle partirait… Après tout, elle n’aurait qu’à reprendre sa vie de jadis, à La Hutte. Elle y avait été pleinement heureuse ; pourquoi ne le serait-elle pas encore ? Elle le savait d’avance ; elle serait la bienvenue. Zenon et Séverin la combleraient de bontés et ils adoreraient Claudette, tous deux. Elle reprendrait, elle, Magdalena, la coquette chambre à coucher qui avait été construite expressément pour elle et où elle s’était trouvée logée comme une reine… Il y aurait place, dans cette chambre, pour le berceau de sa petite… Oui, elle reprendrait sa vie d’avant son mariage et elle parviendrait à s’en contenter…

Mais, à quoi bon se faire illusion ; essayer de se convaincre de ces choses… Non, elle ne pouvait se le cacher à elle-même, sa vie de jadis, elle ne pourrait jamais la reprendre où elle l’avait laissée… La Hutte, pour elle, avait perdu beaucoup de son charme d’autrefois… depuis qu’elle habitait un château… Non qu’elle fut devenue le moindrement snob la chère enfant ; mais, comme l’avait dit Zenon Lassève un jour : « De la hutte au château, il y a loin… »

Et puis… Mais surtout… Claude ! Son Claude ! Il l’avait tant aimée ! Il l’avait entourée de soins si prévenants, si délicats ! Elle allait donc le quitter, ne plus jamais le revoir ? Impossible ! Elle en mourrait… Même sa petite, sa Claudette, ne pourrait lui suffire, la consoler !

— Ah ! se disait-elle. Si j’avais suivi les conseils de mon père adoptif ; si j’avais tout dit à Claude, alors que nous étions fiancés tous deux… Il m’aurait quittée, sans doute ; mais la douleur que j’en aurais ressentie ne saurait être comparée à celle d’aujourd’hui… C’est que je suis épouse et mère, et mon mari et mon enfant sont ce que j’ai de plus cher au monde… Claude ! Ô Claude ! Mon mari bien-aimé ! Ciel ! Ô ciel ! ajouta-t-elle en éclatant en sanglots.

Mais des pas s’approchaient de son boudoir… Elle sentit son cœur se serrer, car elle eut le pressentiment que l’heure était venue et que son mari allait lui demander des explications et… la chasser.

— Qui est là ? demanda-t-elle, entendant frapper à sa porte.

— C’est moi… Suzelle, Madame.

— Entrez ! répondit Magdalena. Eh ! bien, qu’y a-t-il, Suzelle ? demanda-t-elle aussitôt, afin d’empêcher la fille de chambre de s’avancer dans la pièce, car elle ne voulait pas que les domestiques la vissent pleurer, ou, du moins, s’aperçussent qu’elle venait de pleurer.

— C’est M. de L’Aigle, Madame, dit Suzelle. Monsieur désire s’entretenir avec vous et il demande s’il doit monter ici ou si vous préférez aller le rejoindre, dans la bibliothèque.

— Je vais descendre à la bibliothèque. Dites à M. de L’Aigle que j’irai le trouver là dans un quart d’heure, Suzelle, fit Magdalena.

Après le départ de la jeune fille, la jeune femme se hâta de baigner son visage dans de l’eau froide ; Claude non plus ne devait pas s’apercevoir qu’elle avait pleuré, puis elle se disposa à descendre trouver son mari.

Ses yeux firent le tour de son boudoir et de sa chambre à coucher ; deux pièces luxueuses, aux tentures vieux rose et or, aux boiseries émaillées de blanc. Claude n’avait certes rien épargné pour rendre attrayantes les pièces réservées à sa chère Magdalena et il y avait pleinement réussi.

Les mains de la jeune femme se posèrent, avec un geste caressant sur les mille riens qui ornaient les cheminées, les tables, les guéridons… Ah ! ces bibelots ! Qu’ils tiennent fort au cœur de toute femme ! Il y avait des souvenirs de voyage ; de leur voyage en Europe