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le mystérieux monsieur de l’aigle
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surtout, qui lui étaient précieux et chers à plus d’un titre… Bientôt, toutes ces choses, ces souvenirs de jours heureux, ne lui appartiendraient plus ; elle serait forcée d’en faire le sacrifice…

Mais, qu’était-ce, après tout, ces objets, et qu’elle s’en serait passée volontiers, du moment que son mari lui serait resté… Son mari !… Ah ! L’heure allait sonner où il lui faudrait lui dire adieu pour toujours… Et elle l’aimait tant ! Depuis le premier moment où elle l’avait aperçu, sur L’Aiglon, elle l’avait aimé… C’est parce qu’elle l’avait trop aimé ; parce qu’elle avait craint de le perdre, qu’elle avait eu des secrets pour lui… Secrets maudits, qui, aujourd’hui, allaient la séparer à jamais de son bien-aimé !

— Ombre maudite de l’échafaud ! ne put-elle s’empêcher de s’écrier soudain, tu me hanteras donc jusqu’à la fin de mes jours ?

Mais à quoi bon se désoler ainsi ? À quoi servait de se révolter contre son malheureux sort ? Claude l’attendait ; il lui fallait se hâter ! Elle irait le rejoindre, à la bibliothèque, et puis… à la grâce de Dieu !

Quittant son boudoir, elle sortit dans le corridor, ses pieds ne faisant pas le moindre bruit sur les riches tapis de velours.

Avant de descendre l’imposant escalier de marbre blanc conduisant au premier plancher, elle resta quelque temps sur la galerie entourant le corridor d’entrée, et penchée sur la rampe de fer forgé, elle embrassa d’un regard ce qui l’environnait… Quel luxe ! Ses yeux tombèrent sur l’aigle de bronze et elle fut secouée d’un frisson.

— Mon rêve… se dit-elle. L’aigle de bronze, me poursuivant comme pour m’enserrer dans ses puissants talons… Mon Dieu ! Mon Dieu !

Mais craignant d’attirer l’attention de quelque domestique, que le hazard aurait pu conduire dans le corridor, Magdalena descendit l’escalier en soupirant. Bientôt, toute tremblante, elle entrait dans la bibliothèque, où Claude, son mari, l’attendait.

Fin de la quatrième Partie.


Cinquième Partie

LE SECRET DE CLAUDE

I

« LE COURRIER, MONSIEUR CLAUDE » !

En arrivant dans la bibliothèque, Magdalena vit Claude, qui marchait de long en large ; il paraissait nerveux et agité. En apercevant sa femme cependant, il accourut au-devant d’elle et lui offrit un fauteuil, dans lequel elle tomba plutôt qu’elle ne s’assit.

— Que va-t-il me dire ? se demandait-elle. Ah ! Je le sais bien ; il me dira tout simplement de m’en aller ; que nous ne pouvons plus habiter sous le même toit… Il me fera des reproches… Ô ciel ! Qu’il me tarde que cette entrevue soit finie !

Quelle fut donc sa surprise, en voyant son mari se jeter à genou auprès de son fauteuil et lui dire :

— Magdalena ! Ma bien-aimée ! Pardonne-moi si j’ai paru un peu brusque, hier ! J’ai été tellement… étonné… tellement peiné de ce que tu m’as appris, que vraiment, je ne me rendais pas tout à fait compte de mes actions… Magdalena, dis que tu me pardonnes !

— Claude ! murmura-t-elle. Ô Claude !

— Pauvre chère aimée ! Ne va pas croire que ce que tu m’as dit a pu changer mes sentiments envers toi, au moins ! Au contraire ; je t’aime plus que je t’ai jamais aimée peut-être, parce que tu as tant souffert, sans le mériter, certes !

— Mon Claude, tu m’as fait tant de peine hier ! sanglota-t-elle. Lorsque tu m’as repoussée, ah ! j’ai cru que j’allais en mourir !

— Repoussée, dis-tu ? Non ! Non ! Je ne t’ai pas repoussée, ma chérie ; tu te l’es imaginée seulement… Dis que tu me pardonnes la peine que j’ai pu te faire… involontairement, crois-le.

— Te pardonner ! s’écria-t-elle. Ô mon Claude !… Je pensais que… que tu allais me chasser et…

— Te chasser ! Ma pauvre enfant ! Te chasser ! Mais ! Que serait la vie sans toi ; que serait cette maison sans ta présence, chère, chère adorée ?

— Ainsi, Claude, tu veux dire que nous allions reprendre le fil de notre vie toi et moi, comme… s’il ne s’était rien passé entre nous ?

— Certes ! répondit-il.

— Pourtant, je ne veux plus avoir de secrets pour toi et je vais te raconter tous les incidents de ma vie, jusqu’au jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, sur L’Aiglon… Mon pauvre père !… Il était innocent, quoiqu’il soit mort sur l’échafaud, tu le sais.

— Oui ! Oui ! N’en parlons plus, ma chérie ! s’écria Claude en pâlissant légèrement.

— Nous n’en parlerons plus… Seulement, tous le reconnaissent aujourd’hui, il était innocent ; les véritables meurtriers ce sont ceux qui lui ont infligé une mort si cruelle, si infâmante… Lui, mon père, est mort martyr.

— Je t’en supplie, ma chérie, n’en parlons plus. Ce sujet ne saurait que t’attrister et… moi aussi, fit Claude d’une voix altérée.

Le sujet l’énervait, lui déplaisait aussi, c’était évident, et sa femme ne fut pas lente à s’en apercevoir. Elle lui parla donc d’autre chose : de sa vie, à G… ; des rebuffades dont elle avait été presque journellement l’objet, alors qu’elle ne possédait qu’une véritable amie, à part de son père adoptif ; cette bonne Mme d’Artois. Magdalena parla de la longue et pénible maladie qu’elle avait eue ; de son sommeil léthargique ; de son réveil ; des funérailles et de l’enterrement du cercueil vide. Elle raconta en détails sa fuite de G…, déguisée en garçonnet, une nuit, avec Zenon Lassève, et sa vie, depuis lors, sur la Pointe Saint-André, sous le nom de Théo.

— Maintenant, ajouta-t-elle, en souriant un peu tristement, te voilà au courant de toutes