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le mystérieux monsieur de l’aigle

après cinq heures. Vaines recherches ! La lettre fut introuvable !

Découragée, elle essaya de passer son temps, jusqu’au retour de Magdalena, soit à tricoter, soit à lire ; mais à chaque instant, elle jetait là son tricot ou son livre et recommençait ses recherches.

Lorsque la jeune femme revint de la Rivière-du-Loup, vers les dix heures du soir, la lettre n’avait pas été trouvée encore.

C’est Mme d’Artois qui, chaque matin, époussetait le pupitre et la table à écrire de l’étude. Claude lui avait imposé cette tâche, car il se plaignait que les domestiques dérangeaient ses papiers, ou bien jetaient au panier, souvent, des documents importants.

Profitant de ce qu’elle était seule dans l’étude, le lendemain matin, elle fit de nouvelles recherches. Cette lettre, après tout, était quelque part dans la maison et il était impérieux qu’elle fut trouvée… Si Magdalena mettait la main dessus par hasard ! Sans qu’elle en connût le contenu ; sans qu’elle pût le deviner même, Mme d’Artois frissonna à la pensée que d’autres qu’elle pussent trouver la lettre et la lire.

Chaque papier, sur le pupitre et sur la table à écrire, fut examiné avec grand soin avant d’être remis à sa place… Mais l’enveloppe longue et étroite et le document qu’elle contenait n’y étaient pas ! À quoi servait de chercher plus longtemps ? Mme d’Artois se dit qu’elle ne pouvait pas s’éterniser dans l’étude. Eh ! bien, elle ferait d’autres recherches, ailleurs ; des recherches plus minutieuses que celles de la veille, dans la bibliothèque surtout. Allons !

Soupirant, désappointée, elle s’empara d’un panier contenant des chiffons de papier ; ces chiffons, elle les jetteraient dans le foyer du corridor d’entrée, où brûlait un feu clair.

Le panier était près du pupitre ; si près, qu’il était collé dessus. En le retirant, Mme d’Artois vit un papier, et un peu plus loin, une enveloppe longue et étroite qui avaient dû glisser entre le pupitre et le panier, sans qu’on s’en aperçût ; c’était la lettre en question, la malencontreuse lettre à laquelle Claude de L’Aigle attachait une si grande importance !

Elle se saisit de l’enveloppe et de la lettre. Maintenant, qu’allait-elle faire ? Devait-elle remettre le papier dans l’enveloppe, sans le lire ? Ne serait-ce pas très imprudent ? Peut-être n’était-ce qu’un document sans importance qu’elle tenait à la main, et s’il en était ainsi, ce serait folie de n’en prendre pas connaissance… Si, par excès de délicatesse et de discrétion, elle mettait ce papier en lieu sûr, sans en avoir pris connaissance au préalable et que le véritable papier trainât quelque part dans la maison, quelle catastrophe pourrait se produire ! Non ! Cette lettre il lui fallait la lire ; sa conscience lui dictait clairement son devoir et si elle voulait protéger Magdalena, elle la lirait à l’instant !

Elle allait déplier la missive, écrite sur un papier très mince, lorsqu’elle se retourna et regarda par-dessus son épaule ; elle n’était plus seule dans l’étude ! Il y avait quelqu’un là, non loin ! Ces pas furtifs, qui se rapprochaient à chaque instant… Mais bientôt, elle sourit… Ce n’était que les planchers qui craquaient… Ces craquements du plancher… elle n’avait jamais pu s’y habituer tout à fait et elle trouvait cela pour le moins désagréable ; si désagréable que, vraiment, L’Aire, malgré tout son confort, tout son luxe, ne lui paraissait pas être une demeure bien désirable. Heureusement, les de L’Aigle venaient d’acheter une splendide propriété, un véritable domaine, près de la ville de Toronto, et c’est là qu’on passerait désormais au moins tous les hivers.

Mais voyons ! Cette lettre ! Pourquoi tant hésiter à l’ouvrir ? Il est vrai que, pour toute personne de bonne éducation, lire une lettre qui ne lui est pas destinée, c’est une grave affaire ; cela répugne à la délicatesse ; il semble qu’on commet un délit.

Quelques gouttes de transpiration perlaient aux tempes de Mme d’Artois et ses mains tremblaient un peu quand, enfin, elle déplia le papier…

Elle n’en lut qu’une ligne… La lettre s’échappa de ses doigts… Elle devint blanche comme une morte et ses yeux se cernèrent de noir tout à coup. Ses jambes se dérobèrent sous elle et elle tomba assise sur le canapé de l’étude. Allait-elle perdre connaissance ?

— Ô mon Dieu ! murmura-t-elle.

À ce moment, elle entendit des pas légers se dirigeant vers l’étude ; c’était Magdalena !

Folle de terreur à la pensée que la jeune femme allait la découvrir dans l’état où elle était et qu’elle devinerait qu’il y avait quelque chose d’anormal, Mme d’Artois, les mains tremblantes, mit la lettre dans son enveloppe et cacha le tout entre les coussins du canapé.

Mme d’Artois, dit Magdalena, entrant dans l’étude en souriant, venez donc voir Claudette dans son beau manteau neuf ; elle… Mais ! fit-elle soudain. Vous êtes malade ?

— Non, non, Magdalena ! parvint à articuler la dame de compagnie.

— Vous… Vous avez l’air d’une… morte, ma pauvre amie ! Qu’y a-t-il ?

— Une toute petite attaque de la migraine… Ce n’est rien vraiment ; ça se passera aussitôt que je me serai reposée un peu.

— Vite, alors ! Allez vous mettre au lit ! s’écria la jeune femme. Jamais je ne vous ai vue si changée de ma vie !

— Tout à l’heure, Magdalena.

— Tout de suite, je vous prie ! Venez !

— C’est bien, je vous suis.

Les deux femmes quittèrent l’étude. Mme d’Artois s’installa sur le canapé de la bibliothèque, disant qu’elle préférait s’y reposer un peu avant de monter à sa chambre et se mettre au lit.

Profitant d’un moment où Magdalena était allée, elle-même, commander une tasse de thé bien fort pour « la malade », celle-ci partit à la course dans la direction de l’étude, et vite, elle s’empara de l’enveloppe contenant la malencontreuse lettre. Quelques instants plus tard, quand la jeune femme revint à la bibliothèque, Mme d’Artois se dit trop mal à l’aise pour pouvoir avaler même une gorgée de thé.

— Je crois que je vais me retirer dans ma chambre pour une heure à peu près. Ce n’est