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le mystérieux monsieur de l’aigle

que du repos qu’il me faut. Le sommeil ; voilà qui me remettra complètement, je crois, Magdalena.

Elle se rendit donc dans sa chambre à coucher, et après en avoir fermé la porte avec soin, elle ouvrit un petit coffret en bois (un cadeau de Séverin) au moyen d’une clef qu’elle portait à son cou. Dans ce coffret elle jeta l’enveloppe longue et étroite, sans même l’ouvrir. Ainsi qu’elle l’avait promis, elle la remettrait à Claude immédiatement, à son retour.

Épuisée par tant d’émotions, elle s’étendit sur le canapé de sa chambre, non pour dormir, mais pour pleurer.

— Pauvre Magdalena ! Pauvre chère enfant ! disait-elle à travers ses larmes. Ô Dieu tout-puissant, protégez-la ! Ne permettez pas qu’elle découvre jamais ce que je viens de découvrir, moi ! Elle en mourrait !… Et quand je pense à M. de L’Aigle… cet homme si correct, si hautain… quand je me dis que… Non, ce n’est presque pas croyable, et si je ne venais pas de voir les preuves, en blanc et en noir, je ne le croirais pas… Mais Magdalena, la pauvre chère petite !… Et Claudette, l’innocente mignonne ! Ah ! c’est à en perdre la raison !

Mais lorsque Mme d’Artois descendit rejoindre Magdalena dans la salle à manger, à l’heure du lunch, il ne restait presque plus de traces des émotions par lesquelles elle venait de passer ; même, elle trouva le moyen de sourire à la jeune femme et de la rassurer complètement au sujet de sa migraine.

On le sait, plus d’une physionomie souriante cache, souvent, un cœur saignant.

VII

QUATRE DANS LE SECRET

Cet après-midi-là, Magdalena sortit en voiture, disant qu’elle ne serait de retour que pour le dîner, car elle se proposait d’aller rendre visite à Mme Thyrol et lui emmener Claudette, que la femme du médecin désirait tant voir.

Mme d’Artois, prétextant un peu de fatigue, refusa d’accompagner la jeune femme ; mais une demi-heure après le départ de cette dernière, la dame de compagnie sortit à son tour, avec l’intention de faire une longue promenade à pied ; elle voulait être seule avec ses pensées.

Pensées peu gaies assurément ; tristes, au contraire, infiniment tristes et bouleversantes. La lettre qu’elle avait trouvée, ce matin-là, lui causait une impression d’excessive frayeur, car elle se disait que Magdalena finirait, infailliblement par découvrir tout ce qui concernait son mari. C’était presque miraculeux qu’elle fut restée dans l’ignorance jusqu’alors ; elle avait été protégée visiblement par la divine Providence.

Le souvenir du voyage qu’elles avaient fait, à Montréal, avec Claude revint à la pensée de Mme d’Artois.

M. de L’Aigle pouvait bien essayer, par tous les moyens, d’empêcher sa femme de l’accompagner ! se disait-elle. Quel risque il courait d’être découvert aussi ! On serait presque porté à le plaindre ce pauvre homme ; il doit être continuellement sur des épines, surtout depuis son mariage… Dire qu’ils se sont mariés, ces deux-là, ayant un secret l’un pour l’autre ! Mauvaise affaire assûrement !… Mais le secret de M. de L’Aigle est infiniment plus grave que celui de Magdalena, oui, infiniment plus !

Soudain, une pensée lui vint ; une pensée si affreuse qu’une sueur froide inonda son visage et elle dut s’asseoir, ses jambes refusant tout à coup de la porter. Assise sur un rocher, les yeux démesurément grands, les lèvres terriblement pâles, les mains tremblantes, elle crut vraiment, cette fois, qu’elle allait s’évanouir.

— Non ! Non ! s’exclama-t-elle, tout en s’épongeant le front avec son mouchoir. C’est impossible ! Je prends plaisir à me torturer moi-même… Ça ne se peut pas ! Ce serait horrible, si horrible, mon Dieu !

Elle parut faire un certain calcul mental, puis cachant son visage dans ses mains, comme si elle eut voulu qu’ils ne vissent pas l’horrible tableau que son imagination venait de susciter, elle s’écria :

— Je ne me trompe pas ! M. de L’Aigle a… Ô Dieu tout-puissant, faites, faites que Magdalena ne découvre jamais le terrible secret de son mari ! Elle en mourrait, ou bien elle en perdrait la raison !

Se levant, elle continua son chemin. Sa démarche était hésitante, et à chaque instant, elle s’arrêtait pour murmurer :

— Non ! Non ! C’est impossible ! Dieu ne voudrait pas !… Pourtant, je dois me rendre à l’évidence… Oh ! Pauvre, pauvre Magdalena !

Le bruit de coups de marteau ou de pic lui arrivèrent, venant de la direction de la Villa Magda.

— C’est M. Lassève ou Séverin qui travaillent, tout près de la villa, se dit-elle. J’espère que je n’ai pas le visage trop défait, ajouta-t-elle ; je ne voudrais pas exciter les soupçons de M. Lassève, pour tout au monde !

À un détour du sentier, elle aperçut Séverin Rocques. Il enlevait, avec un pic, la glace qui recouvrait encore les rochers entourant la villa… Séverin… Un souvenir le concernant revint à la pensée de Mme d’Artois… C’était depuis le retour de se brave garçon, d’un voyage qu’il avait fait à Montréal, en même temps que Claude de L’Aigle, que Séverin avait cessé complètement ses visites à L’Aire. Son attitude aussi avait été étrange vis-à-vis du mari de Magdalena. La jeune femme lui avait dit, à elle, Mme d’Artois, que Séverin avait l’air d’en vouloir à Claude pour quelque chose. La dame de compagnie avait bien ri de cela, dans le temps ; ça lui paraissait fort ridicule aussi que M. Rocques en voulut à M. de L’Aigle… Non, il ne lui en voulait pas ; seulement, il avait dû découvrir… bien des choses, durant son voyage à Montréal et cela lui avait inspiré de l’inimitié, du mépris même pour Claude…

— Il faut que je découvre si Séverin sait quelque chose ! se disait Mme d’Artois, et je le