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le mystérieux monsieur de l’aigle

saurai ! Je me disais, ce matin, que nous étions deux… non, trois, à connaître le secret de M. de L’Aigle : Eusèbe, Mme de St-Georges et moi ; car je suis positive maintenant que Thaïs n’est pas sans savoir à quoi s’en tenir… Certaines choses… certains regards échangés entr’eux ; je veux dire entre elle et son cousin, me reviennent à la mémoire… Est-ce que Séverin serait renseigné, lui aussi ?… Alors, nous serions quatre dans le secret… Quatre, c’est beaucoup… Un secret que quatre personnes connaissent (à part de l’intéressé), ça n’en est plus un… Cependant, ni Mme de St-Georges, ni Séverin, ni Eusèbe, ni moi, nous ne desserrerons les dents jamais !…

Mme d’Artois approchait de la Villa Magda.

— Allo, Séverin ! cria-t-elle.

Séverin leva la tête et apercevant celle qui venait de l’interpeller, il jeta sur les rochers son pic et sa pelle et accourut au-devant d’elle.

Mme d’Artois ! s’exclama-t-il. Quelle belle surprise que celle de vous voir ! Comment vous portez-vous, chère Madame ?

— Assez bien, merci, Séverin.

— Vous êtes un peu pâle, je trouve…

— Un léger mal de tête ; mais la marche, de L’Aire ici, m’a fait beaucoup de bien. N’est-ce pas que nous avons une température idéale, Séverin ?

Tout en parlant, elle était entrée dans la Villa Magda, où le poêle à l’huile, allumé, jetait une douce chaleur.

— Avec un pareil soleil, dit Séverin, répondant ainsi à la dernière observation de Mme d’Artois, on a le pressentiment de l’été qui s’en vient.

— Venez vous asseoir auprès de moi et me tenir compagnie, Séverin, fit Mme d’Artois. Il y a longtemps que je vous ai vu et il me semble que j’ai une infinité de choses à vous dire.

— Je ne vous demande pas de nouvelles de Magdalena, répondit Séverin, car elle est passée ici en voiture, tout à l’heure et je lui ai parlé.

— Elle est allée rendre visite à Mme Thyrol… Magdalena n’était pas seule ; elle était accompagnée de Claudette et de… Rosine, n’est-ce pas, Séverin ? demanda Mme d’Artois, avec un sourire quelque peu malicieux.

— Oui, répondit-il, en rougissant légèrement, ce qui parut amuser beaucoup sa compagne. Mais, Madame, vous avez donc deviné ?…

— Sans doute ! rit Mme d’Artois. Il y a longtemps que je sais que vous admirez Rosine, mon pauvre ami, et que Rosine…

— Rosine ne l’a pas deviné même, encore…

— Le lui avez-vous demandé ?

— Demandé ?… Non, car Rosine n’a que faire de l’admiration d’un vieux garçon comme moi… Si j’osais lui dire les sentiments qu’elle m’inspire, il est plus que probable qu’elle me rirait au nez.

— Essayez, Séverin ; je vous le conseille fortement, recommanda Mme d’Artois. Puis, changeant brusquement de sujet : « Magdalena vous a-t-elle dit que M. de L’Aigle était absent ? »

Le visage de Séverin, de souriant qu’il venait d’être, devint sérieux et froid.

— Non, elle ne me l’a pas dit ; mais je le savais, annonça-t-il.

— Vous… Vous le saviez, Séverin ?… Qui vous avait renseigné ?

Comme s’il eut craint d’en avoir trop dit, il se hâta de répondre :

M. de L’Aigle s’absente souvent, n’est-ce pas, et…

— N’essayez pas d’expliquer… ce que je comprends très bien, mon ami, fit Mme d’Artois d’un ton grave. Je sais, voyez-vous… J’ai découvert, tout comme vous d’ailleurs, le but de ces voyages de M. de L’Aigle…

— Découvert ?… Vous dites que vous avez découvert le but de ?… Non, c’est impossible ! s’écria le brave garçon. Que… que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que je sais parfaitement pourquoi vous avez cessé tout à coup de venir à L’Aire, mon bon Séverin… J’ai… Je me suis rappelée les… dates, les circonstances… Vous avez fait un voyage à Montréal, en même temps que M. de L’Aigle, Séverin, et c’est depuis lors que…

— Je… Je ne comprends rien à votre langage, chère Madame… commença-t-il. Si j’ai cessé mes visites à L’Aire, c’est à cause de mes occupations…

— Allons ! Allons, Séverin ! Vous comprenez fort bien ce que je veux dire, au contraire ! … Dites-moi, mon ami, alors que vous étiez à Montréal, n’avez-vous pas vu… ou rencontré le mari de Magdalena… sans qu’il vous ait vu, lui ? Répondez-moi franchement, Séverin !

— Oui, répondit-il. Mais, reprit-il, qui a bien pu vous dire ?…

— Que vous importe ! s’écria Mme d’Artois. Je sais, voyez-vous !… Je devine autre chose aussi… Vous ne me demandez pas ce que c’est ?

— Je suis tellement étonné, répondit Séverin, que vraiment, je préfère ne pas trop vous questionner… Pourtant, je serais curieux de savoir ce que vous croyez avoir deviné.

— Voici alors : je devine que lors de ce voyage que vous fîtes à Montréal, en même temps que M. de L’Aigle, vous avez dû assister à… à une de… de ces… ces assemblées qui…

— Ô ciel ! s’écria Séverin. Il se leva d’un bond et se mit à arpenter le plancher. Son visage était blanc comme de la cire.

— Vous le voyez, Séverin, je sais…

— Mais, comment avez-vous appris ?…

M. de L’Aigle, au moment de partir, hier, m’a confié qu’il avait perdu une lettre, reçue la veille ; cette lettre avait, prétendait-il, une grande, une terrible importance. Magdalena ne devait pas la voir cette lettre, au risque d’une catastrophe…

— Une lettre ?… Ah ! Je crois comprendre !

M. de L’Aigle m’a demandé, en grâce de chercher cette lettre… de la trouver si possible et de la lui remettre, à son retour. Or…

— Et vous l’avez trouvée ?…

— Oui, mon ami, je l’ai trouvée, ce matin ; c’est la lettre convoquant M. de L’Aigle à… à l’assemblée… du… du Club Astronomi-