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le mystérieux monsieur de l’aigle

partir, et bientôt, cavalier et monture prenaient le chemin conduisant à St-André.

Eusèbe avait laissé le village loin derrière lui, lorsqu’il aperçut un cavalier venant à sa rencontre ; il le reconnut aussitôt ; c’était le docteur Thyrol, monté sur son cheval Jumbo.

Eusèbe ! s’écria le médecin, lorsque son cheval fut nez à nez avec Albinos. Venez-vous de chez-nous ? Y a-t-il quelqu’un de malade, à L’Aire ?

— Non, M. le docteur, je ne viens pas de chez vous, répondit le domestique, et tout le monde est en bonne santé, à L’Aire. Je suis, en ce moment, à la poursuite de Mlle Cotonnier.

Mlle Cotonnier ? La secrétaire de M. de L’Aigle ?

— Elle-même ! Vous ne l’auriez pas rencontrée, par hasard… montée sur Spectro ?

— Non, je ne l’ai pas rencontrée. Voyez-vous, Eusèbe, je viens de chez les Terreault, qui demeurent, vous le savez peut-être, sur un chemin privé… Mais, pourquoi la secrétaire est-elle partie en chevauchée nocturne ainsi ?

— Je n’en sais rien, M. le docteur. J’ai entendu hennir, pleurer presque Albinos et je suis allé voir, aux écuries, ce qu’il y avait ; Spectro n’était plus dans sa stalle et la selle de Mme de L’Aigle avait disparu… ainsi que la secrétaire.

— C’est étrange, n’est-ce pas ?

— Très étrange, en effet ; mais Mlle Cotonnier…

— Vous n’avez pas d’objections à ce que je vous accompagne et que je vous aide dans vos recherches ? demanda le docteur Thyrol.

Eusèbe hésita quelques instants avant de répondre… Il y avait la lettre… S’il arrivait que le médecin mit la main dessus ! Mais son hésitation fut de courte durée, et comme s’il eut eu le pressentiment d’événements à venir et dont, pour sa propre sûreté, il valait mieux qu’il eut un témoin, Eusèbe répondit :

— Certes, M. le docteur, je serai très honoré de votre compagnie… Écoutez ! ajouta-t-il aussitôt. N’est-ce pas le trot d’un cheval qu’on entend ?

Le docteur Thyrol prêta l’oreille pendant quelques instants.

— Oui, énonça-t-il, c’est bien le trot d’un cheval qu’on entend ; mais si c’est Spectro, il est loin encore.

— Au galop alors, au grand galop ! Courons, ventre à terre ! Il faut que je rattrape cette personne le plus tôt possible !

Le médecin fit faire volte-face à son cheval et celui-ci, suivant l’exemple d’Albinos, partit au galop.

On approchait du Rocher Malin quand, tout à coup, Eusèbe se leva debout sur ses étriers et du doigt il désigna une écuyère, montée sur un cheval blanc.

Mlle Cotonnier… murmura-t-il.

— Oui, c’est bien la secrétaire, ajouta le médecin.

— Aussi vrai que j’existe, elle se propose de passer devant le Rocher Malin !

— Et vous pensez que Spectro… murmura le docteur Thyrol.

— Spectro ne passera jamais dans l’ombre de ce rocher, répondit Eusèbe d’une voix altérée. Mlle Cotonnier ! Mlle Cotonnier ! cria-t-il ensuite.

Mais Euphémie venait de se retourner et d’apercevoir ceux qui la suivaient. Elle avait frappé, de la paume de sa main, la croupe de Spectro qui, aussitôt, s’élançait, affolé, dans l’ombre du Rocher Malin.

— Pour l’amour du ciel ! cria le domestique. Arrêtez, Mlle Cotonnier, arrêtez, pendant qu’il en est temps encore ! Spectro ne voudra pas passer devant le rocher ! Arrêtez ! Arrêtez ! Un éclat de rire seulement lui répondit.

— Elle est perdue, la malheureuse !

— Peut-être que… commença le médecin. Mais des cris, des cris perçants, désespérés, lui répondirent.

— Ô Dieu tout-puissant ! firent les deux hommes ensemble.

Ils étaient accourus de l’autre côté du Rocher Malin, et le spectacle qui s’offrait à leurs yeux les firent frissonner et pâlir : Spectro avait pris le mors aux dents. Affolé, effrayé de l’ombre sinistre projetée par le Rocher Malin, il s’était mâté tout droit, puis, aux cris perçants d’Euphémie, il changea soudain de tactiques ; il se mit à plonger et à ruer. L’écuyère, dans sa frayeur, avait lâché la bride et, folle d’épouvante, elle s’était cramponnée au cou de sa monture.

— Tenez ferme, Mlle Cotonnier ! cria Eusèbe. Nous allons à votre secours !

Les deux hommes se mirent à courir. Mais il était trop tard : Euphémie venait d’être projetée sur le sol, ou plutôt sur le roc… Elle ne bougeait plus.

Spectro, délivré de son fardeau, voulut quitter au plus tôt les abords du Rocher Malin ; mais, le terrain était glissant, fait de cailloux comme il l’était, et il tomba. Dans les efforts qu’il fit pour se relever, il roula sur la secrétaire de Claude de L’Aigle, l’écrasant, du coup.

— Pauvre fille ! Ah ! pauvre fille ! s’écria Eusèbe, en détournant la tête.

— Si elle ne s’est pas fracturée le crâne en tombant, elle vient d’être écrasée sous le poids du cheval, répondit gravement le médecin.

Les deux hommes étaient arrivés sur le lieu de la tragédie. Le docteur Thyrol, après avoir fait un examen sommaire, déclara qu’Euphémie Cotonnier était morte, et que la cause de sa mort était la chute qu’elle avait faite et qui lui avait défoncé la cervelle.

— Nous ne pouvons pas la laisser là, ajouta-t-il. Si ça ne vous coûte pas de rester seul avec la morte, Eusèbe, je vais me rendre chez les Fauteux, qui demeurent tout près d’ici ; nous improviserons une civière et transporteront le corps chez eux, en attendant que nous prenions d’autres mesures.

— C’est bien, M. le docteur, répondit le domestique ; je vous attendrai ici.

Aussitôt que le médecin fut parti, Eusèbe alla s’assurer de ce qu’était devenu Spectro ; il le vit qui, tranquillement, mangeait de l’herbe, à côté d’Albinos et de Jumbo.

Retournant auprès du corps d’Euphémie Cotonnier, il se mit à observer les alentours, se demandant pourquoi les chevaux avaient tant