Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/133

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— Vous ne comprenez donc pas ? s’écria la jeune femme. Lorsque, j’ai aperçu M. de L’Aigle sur son yacht L’Aiglon, alors qu’il venait de nous sauver la vie à mon oncle Zenon et à moi, je me suis dit que je ne le voyais pas pour la première fois. Mais de là à le soupçonner d’être l’exécuteur de mon père il y avait loin, et quoique, devant moi, souvent, on l’appelait « le mystérieux Monsieur de L’Aigle », je trouvais cela ridicule tout simplement… Tout à l’heure… Ô mon Dieu ! Je l’ai reconnu ; c’était lui, lui ! Horreur ! Horreur !

Elle fut secouée d’un terrible frisson.

— Ma pauvre petite…

— Ah ! Je sais, voyez-vous, je sais ! Je les regardais travailler, tout à l’heure, mon oncle Zenon, Eusèbe et lui… À un moment donné, Eusèbe plaça à côté de mon mari un poteau, afin qu’il y attachât un câble

— Ô ciel ! Ô ciel ! s’écria Mme d’Artois, qui venait d’avoir le mot de l’énigme. Personne n’avait commis d’indiscrétion alors ; c’est le hasard qui…

— Vous avez donc compris, Mme d’Artois ? demanda Magdalena, d’une voix méconnaissable. Au mouvement que fit mon mari en jetant le nœud coulant pardessus le poteau, je l’ai reconnu ! C’est bien lui l’exécuteur de mon père, le méprisable bourreau… et moi… et moi… je suis maudite !

— Voulez-vous me permettre de dire…

— Non ! Non ! Taisez-vous ! Qu’auriez-vous à dire, d’ailleurs ? Je le répète, je sais… Le mystérieux M. de L’Aigle ; celui qui en impose à tous par son attitude si froide, si hautaine, n’est que l’exécuteur public, un méprisable bourreau… Ô Dieu tout-puissant ! Et cet homme est mon mari, le père de ma fille ! J’en mourrai de honte et de désespoir ; oui, j’espère que j’en mourrai, car je ne saurais vivre, avec une si horrible certitude !

Mme d’Artois se demandait ce qu’elle allait faire, quelle attitude elle allait prendre… Essayer de parler raison à Magdalena ? Elle le savait d’avance, ce serait inutile… Lui dicter son devoir ; c’est-à-dire lui faire comprendre qu’elle devait pardonner à son mari et oublier, si possible, ce que le hasard lui avait appris ; lui dire qu’elle était obligée de tolérer tout, quand ce ne serait qu’à cause de Claudette ?

Non. Cela amènerait des résultats plutôt funestes peut-être… Il ne restait qu’une chose à faire et elle le ferait, quand même cela lui répugnait et qu’elle trouvait cela horrible. (Elle devint tout simplement une héroïne la bonne amie de Magdalena, en cette tragique circonstance). Et c’est pourquoi lorsque la jeune femme leva ses yeux désespérés, cherchant, dans le regard de sa compagne la sympathie à laquelle elle aspirait, à laquelle elle avait certes droit, elle la vit qui… riait silencieusement.

— Comment ! Vous riez ? s’écria-t-elle. Avez-vous perdu la raison, Mme d’Artois ?

— Je vous prie bien de me pardonner, Magdalena, répondit la dame de compagnie, feignant d’être prise d’un incontrôlable fou-rire ; mais, votre récit voyez-vous… M. de L’Aigle l’exécuteur public… le bourreau ! C’est du plus grand comique, selon moi !

— Mais… balbutia Magdalena, car déjà, l’impression ressentie si vivement tout à l’heure s’effaçait rapidement et sûrement. Dieu le voulait ainsi. Ils étaient mari et femme, ces deux-là, Claude et Magdalena, puis, ils avaient un enfant.

— Vous n’êtes pas la seule cependant qui se soit trompée sur l’identité d’une personne, ainsi, reprit Mme d’Artois, décidée à faire l’impossible pour convaincre la jeune femme qu’elle avait fait erreur. Je me souviens, moi, ajouta-t-elle, improvisant avec un remarquable brio, qu’un jour, à la gare de Montréal, je me suis jetée dans les bras d’un inconnu et je l’ai embrassé, le prenant pour mon frère. Ha ha ha !

Magdalena sourit.

— Tous, tant que nous sommes, nous avons notre « double » en ce monde, vous savez, Magdalena…

— Vous croyez, vraiment ?

— Non seulement, je crois, mais je sais ! Il y a, quelque part sur le globe terrestre, quelqu’un qui vous ressemble, quelqu’un qui me ressemble à moi aussi ; donc…

— Ainsi… j’aurais pu me tromper… en ce qui concerne Claude ?

— Mais, certainement ! M. de L’Aigle serait fort étonné… et mécontent, (à moins qu’il ne prit la chose sur son côté comique), s’il savait pour qui… ou quoi vous l’avez pris, ma pauvre enfant, fit l’héroïque femme, feignant toujours d’être très amusée.

— Je l’ai repoussé, tout à l’heure Claude… murmura Magdalena ; je lui ai dit de s’en aller…

— Il ne vous en gardera pas rancune, j’en suis sûre.

— Il me fera d’amers reproches…

— Je ne le crois pas, ma chérie… Laissez-moi arranger cela, voulez-vous, avec M. de L’Aigle, puis je vous l’enverrai ici, dans quelques instants.

— Vous… vous ne lui direz pas…

— Certes, non !

Elle sortit de la bibliothèque et alla à la recherche de Claude. Elle mit celui-ci brièvement au courant de ce qui venait de se passer.

— Ainsi, Mme d’Artois, elle sait ? s’écria-t-il en pâlissant affreusement.

— Elle est certaine de s’être trompée maintenant, répondit la dame de compagnie. Allez la trouver ; elle vous attend dans la bibliothèque.

Lorsqu’ils se rencontrèrent, tous trois, à l’heure du dîner, Mme d’Artois eut la satisfaction de constater que son plan, si héroïque, avait pleinement réussi et que la paix et la confiance étaient revenues pour toujours, elle l’espérait, dans le cœur de Magdalena.

XII

VILLA MAGDA

Un dernier coup d’œil, s’il vous plait, amis lecteurs, sur ceux que nous avons suivis à travers tant de péripéties, d’épreuves et de joies.

Franchissons une espace de trois années et allons rendre visite aux de L’Aigle, avant de leur dire adieu pour toujours. Mais nous les