Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
le mystérieux monsieur de l’aigle

ne sauraient fraterniser avec Théo, pêcheur et batelier. Ha ha ha !

— Mon enfant, dit Zenon, tu ne regrettes pas, parfois, d’avoir revêtu le costume masculin ?

— Je ne l’ai pas encore regretté, croyez-le. C’est infiniment commode ce costume à cause de la vie mi-sauvage que nous menons ici.

— J’espère que tu ne le regretteras jamais, Théo !

— Jamais ! Pourquoi le regretterais-je ?

— Ah ! Qui sait ? murmura Zenon.

Le lendemain matin, à sept heures, ils partaient, tous deux, en chaloupe, pour le Portage ; ils allaient livrer à l’hôtel le poisson promis. Le temps était admirable.

Ils passèrent devant le rocher que Magdalena avait escaladé la veille, puis ils arrivèrent à proximité du second rocher ; celui qui, d’après la jeune fille, servait de mur principal au « château mystérieux ».

— Voici le rocher dont je vous ai parlé, mon oncle !

— Oui… Mais je ne vois rien… rien… que des rochers et des sapins.

— Ces sapins cachent la plus belle résidence qu’on puisse imaginer, j’en suis certaine, répondit-elle.

— Et ils la cachent si bien, Théo, qu’on ne la voit pas du tout, rit Zenon.

— C’est singulier… balbutia Magdalena.

C’est en vain qu’ils essayèrent de distinguer autre chose que du roc et des sapins ; s’il y avait là une résidence, peu de gens devaient s’en douter.

Ayant dépassé le rocher, Magdalena et son compagnon se retournèrent, d’un commun accord, puis Zenon approcha sa chaloupe du rivage et examina les alentours avec attention. Aussitôt, une exclamation de surprise lui échappa.

De l’endroit où ils se trouvaient maintenant, ils apercevaient distinctement le « château mystérieux », avec ses larges cheminées, ses deux grosses tours, sa porte-cochère, puis son terrain, à fond de pierre, soigneusement entretenu.

Du côté ouest de la maison était une petite baie, dont les eaux tranquilles miroitaient au soleil matinal ; dans cette baie naturelle était ancré un coquet yacht à vapeur, dont on apercevait la charpente blanche, les cuivres polis, les banquettes recouvertes de velours bleu. De grands sapins cachaient entièrement la baie.

N’accusons pas nos amis d’indiscrétion ; ils étaient seulement curieux de constater, par eux mêmes, si vraiment d’autres qu’eux habitaient la Pointe Saint-André dont, à venir jusqu’à la veille, ils s’étaient cru les seuls habitants.

Dans le « château mystérieux » pour parler comme Magdalena, tous devaient dormir encore. Mais, qui demeurait là ?… Quelqu’hermite, sans doute… D’ailleurs, à quoi bon le savoir ? De La Hutte au « château mystérieux », la distance était grande, si grande que ni Zenon Lassève ni son « neveu » ne frayeraient jamais avec ces gens ; les châtelains ne s’associent pas aux pêcheurs et bateliers généralement, n’est-ce pas ?

Zenon donna quelques coups d’avirons et La Mouette quitta les environs de l’intrigante demeure.

Lorsqu’ils revinrent du Portage, et qu’ils passèrent, de nouveau à proximité du rocher, ils ne purent s’empêcher de s’approcher encore une fois du rivage et de jeter un coup d’œil sur la mystérieuse résidence. Une blanche fumée s’échappait de l’une de ses cheminées. Ils virent aussi une femme ou jeune fille portant le costume de domestique ; elle arrosait des fleurs contenues dans de larges vases en pierre qui étaient placés de chaque côté des marches en pierre, aussi conduisant à la maison.

Mais craignant d’être vus, Zenon s’éloigna vite du rivage, et bientôt, lui et sa compagne étaient de retour à leur modeste hutte.

IX

IL NE FAUT JURER DE RIEN

D’avoir découvert qu’ils n’étaient pas les seuls habitants de la Pointe Saint-André, cela ne changea en rien la manière de vivre, les habitudes et occupations de Zenon Lassève et son « neveu ». Ils continuaient à se livrer à la pêche, à traverser les excursionnistes aux Pèlerins et à aller, une fois la semaine, porter du poisson à l’hôtel du Portage.

Seulement, ils ne s’approchaient plus de la grève, lorsqu’ils passaient à proximité du deuxième rocher, que Magdalena nommait le Roc du Nouveau Testament.

— Ces deux rochers, mon oncle, dit-elle à Zenon, un jour, je les ai nommés Les Testaments. Notre rocher, à nous, c’est le Roc de L’Ancien Testament ; l’autre, c’est le Roc du Nouveau Testament.

— Je n’oublierai pas, Théo.

Quoiqu’ils ne longeassent plus la grève maintenant, en se rendant au Portage, ils regardaient toujours, assez curieusement, l’emplacement du « château mystérieux », et ils ne furent pas lents à constater une chose ; c’était que à moins de savoir qu’il y avait là une demeure, il était impossible de la distinguer à travers les sapins, vraiment altiers, à cet endroit. Ceux qui habitaient là étaient bien cachés ; si c’était leur intention de se dérober aux regards, ils n’auraient pu choisir un lieu plus discret, plus sûr. Même la petite baie où était ancré le yacht, était, à cause des sapins qui la bordaient, invisible excepté d’un certain angle.

— Savez-vous, oncle Zenon, dit Magdalena, lorsqu’ils furent de retour chez eux, même les gens de Saint-André ignorent qu’il y a sur cette pointe une autre maison que la nôtre ? Je les ai questionnés adroitement et j’ai facilement constaté la chose.

Eh ! bien, Théo, mon garçon, puisque les gens du « château mystérieux » recherchent la solitude et le… mystère, laissons-les faire. Ce ne sont pas de nos affaires d’ailleurs, et il ne peut y avoir rien de commun entre nous et eux, tu le penses bien.

— Mais… qui peut demeurer là ?

— Quelque type excentrique et sa non moins excentrique famille, sans doute.

— Comme vous le dites, mon oncle, ça ne