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pouvant refuser une telle chance, un tel honneur !…

Tout comme ses parents, Barnabé, lui non plus, ne revenait pas du refus de Marielle et il en fut véritablement malheureux, pour au moins huit jours ; après cet espace de temps, il se dit qu’il allait se venger de Mlle Dupas et lui faire regretter son refus. Pour ce faire, il se remit à courtiser Anastasie.

Anastasie ayant, de son côté, constaté que Jean se souciait d’elle comme de son premier faux-col, fit l’aimable et l’accueillante envers Barnabé, et bientôt la nouvelle se répandit, sur le Rocher aux Oiseaux, que Mlle Anastasie Dulac allait épouser, avant la fin de l’été, M. Barnabé Folavoine.

Nous laisserons donc Anastasie et les Folavoine à leurs rêves d’avenir, si près de se réaliser, pour nous occuper d’un événement qui allait apporter de grands changements dans la vie de plus d’un des habitants du Rocher aux Oiseaux.


CHAPITRE XVIII

MADAME ET MADEMOISELLE VALLIER


Jean Bahr venait de fermer son magasin et il se rendait chez lui, afin de faire un brin de toilette avant d’aller veiller au « Manoir-Roux », selon la promesse qu’il en avait faite à Marielle.

Comme il arrivait au « Gîte », il entendit des voix dans la direction de la grève : des excursionnistes venaient visiter le Rocher aux Oiseaux, sans doute ; cela arrivait assez souvent durant la belle saison… Jean allait entrer chez lui, quand il s’entendit interpeller par une voix venant du rivage :

— Hé ! M. Bahr !

En arrivant, il aperçut une chaloupe contenant trois personnes : Fidèle, un canotier de la Grosse Île, puis deux dames.

— Bonjour, M. Bahr ! dit le canotier.

— Bonjour, Fidèle ! répondit Jean. Ça va bien, je l’espère ?

— Bien, bien, merci, M. Bahr !… Voici deux dames qui débarquent ici, dit Fidèle, en indiquant les étrangères. Moi, je retourne tout de suite, afin d’arriver à la Grosse Île avant la grande obscurité.

Les dames se levèrent de la chaloupe et Jean vint leur offrir la main pour leur aider à mettre pied sur le rivage. Il vit alors que l’une de ces dames pouvait avoir une quarantaine d’années et l’autre, une vingtaine à peu près ; « La mère et la fille », pensa le jeune homme. La plus âgée de ces deux femmes paya le canotier, qui donna aussitôt un coup de barre et partit dans la direction de la Grosse Île, en chantant :


À Saint Mâlo beau port de mer,
Trois beaux navir’s sont arrivés.
Nous irons sur l’eau nous y prom’promener,
Nous irons jouer dans l’île. »


— Vous êtes M. Bahr ? demanda à Jean l’aînée des étrangères.

— Oui, Madame, je me nomme Jean Bahr.

— J’ai vu, il y a déjà plusieurs semaines votre annonce dans un journal de Québec. Il vous reste encore une Villa qui n’est pas louée, n’est-ce pas ?

— La « Villa Magdalena » n’a pas trouvé de locataire, répondit Jean.

— Alors, je la prends, dit la dame. Nos valises et autres effets arriveront demain, mais nous désirons prendre possession de la « Villa Magdalena » dès ce soir, si possible.

— Bien, Madame, répondit Jean ; je vais vous y conduire immédiatement.

Il s’empara d’une petite valise que le canotier avait déposée sur la grève et il s’apprêtait à partir pour la villa, en compagnie des étrangères, quand l’aînée des deux dames reprit :

— Nous sommes obligées de nous présenter nous-mêmes, M. Bahr… Je suis Madame Vallier, et voici ma fille Louise. Nous venons de Montréal.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, Madame Vallier, dit Jean, ainsi que celle de Mademoiselle Vallier, ajouta-t-il, en s’inclinant. J’espère que vous aimerez le Rocher aux Oiseaux.

— Est-ce à vous ce joli chien berger ? demanda Mme Vallier, en désignant Léo, qui, comme toujours, suivait son maître pas à pas.

— Oui, Madame, répondit Jean. Il se nomme Léo.

Mme  Vallier se pencha, avec l’intention de flatter le chien sans doute, mais Léo se mit à gronder et à montrer ses dents.

— Ah ! il est méchant votre chien, à ce que je vois, M. Bahr ! dit Mme Vallier, en retirant hâtivement sa main. Vous auriez dû m’en avertir ; je me soucierais fort peu de me faire mordre, surtout en ce temps des canicules.

— Pardon, Madame, mais c’est la première fois que Léo se montre si peu aimable pour des étrangers, affirma Jean. Léo, ajouta-t-il, en s’adressant au chien, viens immédiatement présenter ta patte à ces dames !

Mais Léo se coucha sur le sol en grondant et Jean ne put se faire obéir, ni en le caressant, ni en le menaçant. Décidément, le chien avait pris ces dames (du moins Mme Vallier) en grippe !

Bien vite on arriva à la « Villa Magdalena », dont Jean s’empressa d’ouvrir portes et fenêtres, puis il quitta les dames Vallier en leur souhaitant bonne nuit, dans leur nouvelle demeure.

Jean arriva un peu en retard au « Manoir-Roux », mais il eut bientôt expliqué la raison de son retard.

— Je viens de louer la « Villa Magdalena », dit-il à Pierre Dupas et à Marielle.

— Vraiment ! s’écrièrent ceux-ci.

— À qui l’avez-vous louée, Jean ? demanda Pierre Dupas.

— À deux dames : une Mme Vallier et sa fille. Elles se sont installées immédiatement à la villa et j’ai dû les conduire à leur demeure avant de venir ici ; c’est pourquoi je suis en retard.

— N’est-ce pas, Jean, que votre plan a eu un extraordinaire succès ?… Nous avons construit six villas et elles sont louées toutes les six.

— Oui, assurément, c’est un grand succès ! répondit Jean.

— D’où viennent-elles ces dames Vallier ? demanda Pierre Dupas.

— Elles viennent de Montréal. Mme Vallier semble avoir une quarantaine d’années et sa