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LE SPECTRE DU RAVIN

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— Vous aime, Bahr ! Mais, quand son cœur eut été libre, le mien ne l’est pas ; il appartient à une presqu’inconnue et s’il ne m’est donné de la revoir ma charmante inconnue, je ne me marierai jamais… Est-ce que ça vous intéresserait si je vous racontais mon petit roman, Bahr ? demanda Maurice.

— Assurément oui ! répondit Jean.

— Mon roman n’est guère compliqué… ni long… Une jeune fille d’une admirable beauté, âgée de seize ans à peu près, rencontrée à un concert, dans la ville de Québec, il y a quatre ans… Le hasard voulut qu’elle fût placée à côté de moi. Elle était accompagnée d’un monsieur à l’air froid et sévère qui n’était pas son père et qu’elle semblait craindre grandement.

« Durant le concert, continua Maurice, j’eus la chance de rendre de légers services à la jolie inconnue ; tels que ramasser son programme, puis un gant qu’elle laissa choir par terre.

« Le concert achevait, quand un cri retentit dans la salle : « Au feu ! Au feu ! »

« Une panique s’ensuivit. Le monsieur à l’air froid et sévère fut debout en un clin d’œil : « Viens ! » s’écria-t-il, en s’adressant à la jeune fille, puis il partit, à la course, dans la direction de la porte de sortie.

« — Je vous prie de ne pas bouger, Mademoiselle, dis-je à la jeune fille. Il n’y a pas de danger immédiat. Voyez, ajoutai-je, les gens se font piétiner sur place, et c’est ce qui nous arriverait si nous essayions de nous sauver maintenant. Veuillez me suivre, Mademoiselle !

« Bref, je parvins à sauver la jolie inconnue et à me sauver moi-même, en passant par une fenêtre.

« Le compagnon de la jeune fille l’attendait, non loin de la salle du concert. Il lui parla rudement : « C’est ce monsieur, dit-elle, en me désignant, qui m’a sauvé la vie ! » Le monsieur se contenta d’incliner la tête froidement ; mais la jeune fille écrivit, à la hâte, quelques mots sur une page d’un mignon calepin, elle arracha cette page et me la remit, sans que son compagnon s’en aperçut. Sur cette feuille de calepin je lus :

« Merci ! Merci ! Jamais je n’oublierai !
« Merci ! Merci ! JamYlonka Desormes »

— Ylonka ! s’écria Jean, Ylonka Desormes !

— Comment ! dit Maurice. Connaissez-vous Ylonka, Bahr ?

— Ylonka ! répéta Jean. Ylonka ! Le Spectre du ravin !

— Que dites-vous, Bahr ? demanda Maurice, très excité. Expliquez-vous, de grâce !… Ylonka… vous la connaissez ?

— Non, Leroy, je ne la connais pas, mais… Écoutez, Maurice je regrette d’avoir à vous dire quelque chose qui va vous peiner beaucoup… Ylonka est morte… depuis quatre ans déjà… noyée… dans le golfe Saint-Laurent, tout près de cette île…

Et Jean raconta à Maurice ce que Marielle lui avait raconté à propos de la malheureuse Ylonka. Maurice Leroy n’en revenait pas !

— Bahr, dit-il, je ne puis croire qu’elle soit morte ma mignonne Ylonka, non, je ne puis le croire !

— Hélas, Leroy, ce n’est que trop vrai !… Demain soir, si vous le désirez, nous irons veiller au « Manoir-Roux » et Mlle Marielle vous parlera d’Ylonka, qu’elle a beaucoup aimée.

— Si je le désire ! s’écria Maurice. Mais, vous avez dit, tout à l’heure : « Ylonka ! Le Spectre du ravin ! » Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Voici, répondit Jean. La superstition veut que le Spectre d’Ylonka hante le Rocher aux Oiseaux, ou plutôt le Sinistre Ravin.

Jean raconta à Maurice la légende du Spectre du ravin, et Maurice s’écria :

— Voyons, Jean, vous ne croyez certainement pas aux revenants !… Moi non plus, je n’y crois pas… Ylonka vit ! Elle vit ! Je la retrouverai ! … Je ne quitterai le Rocher aux Oiseaux que lorsque j’en aurai découvert le secret et le mystère… Ylonka ! Ylonka !

— Mes sympathies vous sont acquises, Leroy, dit Jean.

— Je retrouverai Ylonka ! Elle vit ; j’en suis certain ! Je ne quitterai pas cette île près de laquelle elle a disparu, tant que je ne serai pas assuré de sa mort… Mais elle n’est pas morte, je le sens, je le sais, et je la retrouverai ! … Vous m’aiderez à la retrouver, n’est-ce pas, Jean ?

— Si mon dévouement et mon amitié peuvent vous être utiles, je me mets à votre entière disposition, Leroy, dit Jean. Oui, je suis prêt à vous aider, quoique…

À ce moment, trois coups de canon arrivèrent du large.

— C’est l’appel d’un navire en détresse s’exclama Jean. ! Hélas ! Il n’y a pas un seul marin sur le Rocher aux Oiseaux, et nous ne pouvons rien pour ce navire.

— Et cette île, qu’ils ne peuvent apercevoir, dans la nuit ! s’écria Maurice. Écoutez, Bahr, écoutez !… D’autres coups de canon… N’est-ce pas épouvantable de se dire qu’on ne peut rien pour eux !

— Voyez ! Voyez ! cria Jean, tout à coup, et s’approchant d’une fenêtre ; celle qui avait vue sur le Sinistre Ravin.

— Un feu ! Un feu ! cria, à son tour, Maurice Leroy.

— Oui, un feu, un grand feu, près du Sinistre Ravin !

— Le navire verra ce feu ; alors, et il sera sauvé ! dit Maurice. Mais… Qui peut bien avoir allumé ce feu ? demanda-t-il soudain. Personne sur le Rocher aux Oiseaux…

— Qui a allumé ce feu, en effet, Leroy ?… Il est près de minuit, et tous, sur cette île, dorment depuis longtemps…

— Quelqu’un a allumé ce feu, pourtant ! s’écria Maurice. Il ne s’est pas allumé tout seul !… Et, voyez, Bahr ; à présent que le navire est sauvé, ce feu s’est éteint, aussi subitement et aussi mystérieusement qu’il s’est allumé… C’est assez mystérieux, ma foi !

— Il y a bien des choses mystérieuses sur le Rocher Aux Oiseaux, vous le savez, Leroy,… Ce feu… Sans doute, on vous dira qu’il a été allumé par le Spectre du ravin.

— Le Spectre du ravin ! Allons donc ! dit Maurice, en haussant les épaules. Mais, qu’importe, en fin de compte ! L’important, c’est que le feu a sauvé le navire en détresse, puisqu’on n’entend plus ses coups de canon.

— Avouez que c’est mystérieux tout de même, Leroy, dit Jean, en souriant.

— Peut-être… murmura Maurice. Et maintenant bonne nuit, Bahr ; je pars, si je ne veux pas vous faire passer la nuit debout.

— Comment ! vous croyez que je vais vous laisser retourner à « Charme Villa » au milieu de cette terrible tempête ! s’écria Jean. Assu-