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— Marielle, demanda M. Jambeau, dites-moi ce qu’il y a… Il y a quelque chose, je sais… quelque chose qui vous brise le cœur, qui vous fait pleurer en cachette… Qu’est-ce, ma chérie ?… N’avez-vous pas confiance en moi ?… Qu’y a-t-il, Marielle ?

Marielle se mit à sangloter, tout d’abord, puis elle confia sa grande peine à son vieil ami. M. Jambeau n’en revenait pas !… Jean amoureux de Louise Vallier !… Ce n’était presque pas croyable… Mais, Jean était mieux, et M. Jambeau se dit qu’il le verrait bientôt… demain… aujourd’hui peut-être… Il demanderait au jeune homme de lui expliquer…

— Cher M. Jambeau, dit Marielle, si vous n’y avez pas d’objection, je vais aller faire un petit tour chez-nous ; je reviendrai à temps pour confectionner le dessert du dîner.

— C’est bien, Marielle, répondit M. Jambeau. À bientôt, ma chérie !

— À bientôt, cher M. Jambeau !


CHAPITRE XXIX

EXPLICATIONS


Après le dîner, ce jour-là, M. Jambeau dit à Marielle :

— Marielle, n’aimez-vous pas votre piano ?

— Ne pas aimer mon piano, M. Jambeau ! protesta Marielle.

— C’est que vous n’en jouez plus. Pourquoi ne jouez-vous pas quelque chose ? J’aimerais vous entendre.

— Mais, M. Jambeau, je sais que vous faites la sieste, chaque jour, après le dîner ; le piano vous empêcherait de dormir.

— Alors, fermez la porte de la bibliothèque, Marielle et amusez-vous à votre piano… Je crains toujours que vous vous ennuyiez ici et…

— M’ennuyer ici ! Pas de danger, cher M. Jambeau, je vous assure ! Mais, je vais suivre votre conseil et faire un peu de musique.

Marielle entra dans la bibliothèque et se mit à improviser des mélodies. À composer de la musique le temps passe vite, et levant les yeux sur un cadran, tout à coup, elle s’aperçut qu’il était trois heures.

— Trois heures déjà ! se dit-elle. M. Jambeau doit être éveillé ; je vais aller voir.

À ce moment, une main se posa sur l’épaule de Marielle, et s’étant retournée, elle se trouva en face de Jean Bahr.

— Jean ! s’écria-t-elle, sous l’impulsion de la surprise et de la joie.

— Marielle ! Ma bien-aimée ! dit Jean, en pressant sa fiancée contre son cœur.

Mais certains souvenirs revinrent à Marielle, car elle s’arracha des bras du jeune homme et dit :

— Comment ! Vous osez !

— Marielle ! Marielle ! s’écria Jean, très surpris de l’attitude de la jeune fille. Qu’y a-t-il, Marielle ?

— Ce qu’il y a ! s’exclama Marielle. Ah ! vous le savez bien !

— Marielle, ma chère fiancée ! dit Jean, essayant d’atteindre la jeune fille.

— Votre fiancée ?… Non pas !… Je sais tout, M. Bahr ; votre fiancée c’est Louise Vallier.

— Ma fiancée, Louise Vallier !… Mais, ma chérie, je ne comprends rien à ce langage.

— Je le répète, je sais tout… le jour où vous m’aviez fait dire par Mlle Vallier que vous n’alliez pas patiner, et ce que je vous ai vu parcourant la glace avec elle… Ne niez pas. M. Bahr ; je vous ai vus tous deux !

— Marielle, dit Jean, vous voulez parler de ce jour où vous avez refusé de venir patiner avec nous, quoique Mlle Vallier m’ait dit que vous aviez haussé les épaules quand elle vous avait assurée que votre absence me ferait beaucoup de peine…

— Je ne sais ce que vous voulez dire, répondit Marielle. En ce jour dont je vous parle, Louise Vallier m’a dit vous avoir rencontré ; elle m’a dit aussi que vous l’aviez chargée d’un message pour moi : vous ne viendriez pas patiner. Conséquemment, je répondis à Mlle Vallier que, puisque vous n’y deviez pas être, je n’y serais pas, moi non plus… Puis, je vous ai vu patiner ensemble, de la fenêtre de ma chambre.

— Marielle, Mlle Vallier vous a menti, comme elle m’a menti à moi. C’est une intrigue de sa part ; voilà ! Et si j’ai patiné avec elle, c’est qu’elle me l’a presque demandé… La courtoisie la plus simple…

— Est-ce la « courtoisie la plus simple » interrompit Marielle, qui vous a aussi suggéré l’idée de lui baiser la main ? Entrant dans la cuisine afin de faire chauffer du bouillon pour Mme Dupas, je vous ai vu…

— Écoutez, ma chérie, je vais vous expliquer la chose : Mlle Vallier, sur ma demande, était allée vous prier de descendre pour quelques instants…

— Je ne l’ai point vue, répondit Marielle. Je faisais la lecture à haute voix pour Mme Dupas probablement, en ce moment-là, et Louise Vallier ne m’a certainement pas interrompue.

— Alors, cette fois encore, elle m’a menti. Elle m’a dit que vous aviez refusé de descendre. Ne comprenant pas pourquoi vous refusiez de me voir, Marielle, j’ai demandé à Mlle Vallier de découvrir ce qu’il y avait… Je craignais tant vous avoir froissée, sans le vouloir, voyez-vous, Marielle ! Elle promit ce que je lui demandais ; même, me tendit la main en disant : « Je lui dirai tout, je vous le promets ! » Et c’est alors que je lui ai baisé la main… parce qu’elle avait promis de plaider ma cause auprès de vous, ma bien-aimée ! dit Jean.

— Mais, puisque vous niez aimer Mlle Vallier, pourquoi avez-vous prononcé son nom si souvent, dans le délire de la fièvre, M. Bahr ? demanda Marielle. Non, voyez-vous, je ne puis croire à votre fidélité… j’ai des preuves convaincantes du contraire.

— Je ne comprends pas, Marielle… murmura Jean.

— Eh ! bien, je vais vous expliquer mes paroles, dit Marielle. Je suis allée vous voir à « Charme Villa », pendant que vous étiez malade…

— Oui, je sais, ma chérie ; Maurice me l’a dit, vous n’en doutez pas, Marielle, je vous en garde une grande reconnaissance ! s’écria Jean.

— Vous voyant si malade, poursuivit Marielle, je me suis penchée sur vous en prononçant votre nom… Vous m’avez regardée fixement… et m’avez prise pour Mlle Vallier.