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LE SPECTRE DU RAVIN

— Le délire… commença Jean.

— Vous avez parlé… Vous avez dit (Ah ! je me souviens bien de ce que vous avez dit, allez) « Louise ! avez-vous dit, Ô chère bien-aimée Louise ! Quel bonheur de te revoir, après une si longue séparation !

Jean ne put retenir un sourire, devant l’erreur de Marielle ; celle-ci vit ce sourire et en fut très froissée.

— Sans doute, cela vous amuse beaucoup, M. Bahr ! dit-elle, le rouge du mécontentement au front.

— Veuillez me pardonner, Marielle, plaida Jean, et continuez votre récit, je vous prie.

— Vous vous moquez de moi ! cria Marielle, des larmes perlant à ses cils. Qu’importe, en fin de compte !… « Louise ! vous êtes-vous écrié encore. Ne nous séparons plus… Ton cher visage est le dernier que je désire voir, en ce monde, puisque… puisque…

— Marielle, dit Jean ; votre erreur est bien naturelle et…

— Mon erreur ! protesta-t-elle.

— Ma fiancée chérie, dit Jean, je vous ai déjà parlé de ma sœur, et je vous ai dit combien elle m’était chère… Avant de vous rencontrer, Marielle, ma sœur m’était plus chère que tout au monde… Or, quoique je vous aie parlé d’elle assez souvent, je ne me souviens pas de vous avoir dit son nom ?

— Jamais ! s’exclama Marielle, qui commençait peut-être à comprendre.

— Elle se nomme Louise.

— Louise !… Ah !

— Tenez, Marielle, veuillez prendre connaissance de l’inscription et de la souscription de cette lettre, la dernière que j’ai reçue de ma sœur, l’automne dernier.

— Non ! Non — Jean ! Je comprends tout maintenant !

— Vous m’obligeriez, ma chérie, en lisant le post-scriptum de cette lettre. Lisez-le, je vous prie, Marielle !

Et Marielle lut ce qui suit :


« Ainsi, mon frère chéri, je ne désespère pas aller, un jour te voir, sur ton Rocher. Quel plaisir de te voir, Jean ! Quel plaisir pour moi de faire la connaissance de ta Marielle bien-aimée, celle de ce bon M. Jambeau et aussi celle de M. Maurice Leroy ! Tes lettres, si jasantes, si intéressantes, sont remplies de ces noms… de fait, même entre les lignes, je puis lire celui de ta douce fiancée Marielle.

Ta sœur qui t’aime tendrement,
LOUISE BAHR »


— Jean ! Jean ! Ô Jean ! s’écria Marielle. Me pardonnerez-vous d’avoir douté de vous ?

— Cher ange, répondit le jeune homme, je vous pardonne de tout cœur, du moment que vous me promettez de ne plus jamais douter de moi.

— Je le jure, mon cher fiancé !… Quant à Louise Vallier et ses intrigues…

— Ah ! l’accord est fait, à ce que je vois ! dit, en ce moment, la voix de M. Jambeau.

— M. Jambeau ! murmura Marielle, entourant de ses bras le cou du brave homme. Cher M. Jambeau, nous avons eu une explication Jean et moi… Jamais plus je ne douterai de lui !

— Bien, mes enfants ! dit M. Jambeau, vous resterez souper avec nous, n’est-ce pas ? Je viens d’envoyer chercher Maurice.

— Merci, M. Jambeau, j’accepte votre invitation avec plaisir et reconnaissance !

Ce fut une joyeuse réunion et la veillée passa vite, trop vite, selon tous.

Le lendemain, Jean retournait chez lui, accompagné de Max, et huit jours plus tard, Pierre Dupas venait chercher Marielle.

— Combien il m’en coûte de la laisser partir, M. Dupas ! dit M. Jambeau, qui avait des larmes dans les yeux. Ne pourriez-vous pas me laisser Marielle au moins pour quelques jours encore ?

— Je regrette infiniment d’avoir à vous refuser quelque chose, M. Jambeau, répondit Pierre Dupas. Mais, voyez-vous, la saison de la chasse aux morses commence lundi, et je ne puis laisser ma femme seule au « Manoir-Roux »… Je veux dire, se reprit-il, que Marielle a un don tout spécial auprès des malades… et ma femme est loin d’être en bonne santé, M. Jambeau.

— Vous viendrez me voir souvent, n’est-ce pas, Marielle ? demanda M. Jambeau.

— Certes, oui ! J’ai passé des jours bien agréables à la « Villa Bianca », cher M. Jambeau, et je vous remercie de votre cordiale et généreuse hospitalité !

À quelques jours de là, Pierre Dupas allait s’installer au « Gîte » pour la saison de la chasse aux morses. Cette chasse fut très fructueuse, encore, cette année, à en juger par les peaux de morses et les barils d’huile dont les hangars furent bientôt remplis.

Et le temps passait…

Bientôt la belle saison s’annonça : les oiseaux se mirent à chanter, les arbres se mirent à bourgeonner, l’herbe à reverdir, les fleurs à poindre, et ainsi on arriva à la date du 28 mai, date à laquelle eut lieu, sur le Rocher aux Oiseaux, un grand événement, prélude du plus émouvant des drames, dans lequel les principaux personnages de ce roman allaient jouer des rôles importants.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE


DEUXIÈME PARTIE

LA VICTIME

CHAPITRE I

GUY


Le 27 mai, dans l’après-midi, arriva, sur le Rocher aux Oiseaux, un de nos bons amis : le Docteur Le Noir, mandé, en toute hâte, par Pierre Dupas. Le médecin alla droit au « Gîte », en arrivant ; inutile de dire s’il fut le bienvenu.

— Je viens passer deux ou trois jours avec vous, Bahr, dit le docteur Le Noir. J’espère que vous n’avez pas d’objection à me recevoir ?

— Pour deux ou trois jours, pour deux ou trois semaines, pour deux ou trois mois, si vous le désirez, Le Noir, répondit Jean. Vous êtes mille fois le bienvenu.

— Merci ! dit le médecin. Pour le moment, je me rends au « Manoir-Roux »… Je ne sais quand je reviendrai ; peut-être ce soir, peut-être seulement demain matin. Au revoir donc !