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Page:Bourget - Études et Portraits, t1, Plon-Nourrit.djvu/182

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cours de mes entretiens avec lui, — un des plus vifs plaisirs d’intelligence que j’aie goûtés, — cette surprenante identité de sa phrase écrite et de sa phrase causée. Il me contait des anecdotes de Valognes ou de Paris avec cette même puissance d’évocation verbale, avec la même surcharge de couleurs qui s’observe dans ses romans. Il s’en allait tout entier dans ses mots. Ils devenaient lui, et lui devenait eux. Je comprenais plus clairement alors ce que la littérature a été pour cet homme dépaysé, et quel alibi sa mélancolie a demandé à son imagination. De là dérive, entre autres conséquences, cette force de dédain pour l’opinion qui lui a permis de ne jamais abdiquer devant le goût du public. Il admire beaucoup ce titre d’un poème de Lamartine : le Génie dans l’obscurité. Cette admiration est de bonne foi, et je ne serais pas étonné qu’aimant les Lettres de l’amour que j’ai dit, non seulement les insouciances de la renommée à son endroit l’aient trouvé indifférent, mais encore qu’il s’en soit réjoui, aux heures d’entière sincérité.

III

Sa littérature a donc été pour M. d’Aurevilly un songe réparateur. Mais, en dépit d’un proverbe fameux, tous les songes ne sont pas des mensonges,