et quand le songeur est un moraliste et un psychologue, il n’est pas bien malaisé de déterminer dans l’arrière-fond de sa rêverie quels éléments d’expérience il a combinés, exagérés parfois, parfois déformés, et ils demeurent pourtant invinciblement solides et réels, — comme la matière brute sur laquelle travaille un sculpteur. Il y a dans une lettre de Stendhal à Balzac une phrase significative et qu’il faut citer sans cesse. Elle marque bien quel procédé de métamorphose emploient à l’égard de leurs observations ces alchimistes de l’âme humaine qui sont les grands romanciers : « Je prends, » dit l’auteur de Rouge et Noir, « un personnage de moi bien connu. Je lui laisse les habitudes qu’il a contractées dans l’art d’aller tous les matins à la chasse du bonheur. Ensuite je lui donne plus d’esprit. » Le plus d’esprit devient pour un d’Aurevilly un plus de passion, mais le procédé reste sensiblement analogue. Il est d’ailleurs aisé, pour qui connaît un peu la jeunesse de M. d’Aurevilly, de faire un départ des sources diverses qui ont nourri de réalité son imagination. Il a vécu enfant, et même adolescent, dans la vieille ville de Valognes, et il a connu les survivants des terribles guerres de la chouannerie du Cotentin. Il a entendu ces hommes raconter des actions, qu’ils avaient faites de ces mêmes mains qu’ils chauffaient maintenant au feu des veillées d’hiver. De cette impression première, demeurée ineffaçable sur son souvenir, M. d’Aurevilly a tiré l’Ensorcelée et le Chevalier des
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