vent. Ce livre, qui n’est pas un livre, me séduit par ce charme d’une nuance fine. Il laisse voir la minute où l’homme va devenir l’auteur, où la réalité se change en poésie, où l’observation se double de rêve. Et le rêve est si naturel à M. d’Aurevilly que le moindre événement l’y conduit par une invincible pente. Un enfant s’endort à son côté dans une diligence, et la Léïla de Byron lui apparaît. Il regarde le vent frapper des arbres : « Il sabrait les ormes comme avec un bancal et leur hachait leur beau visage de verdure nuancée, » dit-il. Et ailleurs, sur la pluie : « Ne sommes-nous pas en Normandie, la belle Pluvieuse, qui a de belles larmes froides sur de belles joues fraîches ? J’ai vu des femmes pleurer ainsi. » À chaque page c’est ainsi un au-delà entrevu derrière la vibration présente des nerfs et du cœur. C’est que M. d’Aurevilly est, au sens le plus beau et le plus exact de ce mot, un poète, — un créateur. Même sa poésie est aussi voisine de celle des Anglais que sa Normandie est voisine de l’Angleterre. Je me rappelle, dans un voyage que je fis en ligne directe de Caen à Weymouth, par Cherbourg, au mois d’août 1882, être demeuré saisi par l’extraordinaire ressemblance des paysages[1]. Cette ressemblance est-elle descendue jusqu’aux âmes ? Je le croirais à sentir combien le rêve d’un Shakespeare ou d’un
- ↑ On en trouvera le détail et une conversation de Barbey d’Aurevilly justement à ce sujet dans la seconde série de ces Études et Portraits, au début du morceau intitulé : Les lacs anglais.