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Page:Bourget - Études et Portraits, t1, Plon-Nourrit.djvu/184

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Touches. Il a vu, à cette même époque, les jeunes nobles de sa province et les anciens soldats de l’Empire tuer les loisirs forcés de leur stagnante existence par toutes sortes d’excès de jeu, d’amour dangereux et de conversation. Il s’est souvenu de ces nobles et de ces soldats lorsqu’il a écrit le Bonheur dans le crime, le Dîner d’athées et le Dessous de cartes d’une partie de whist. Puis il est venu à Paris, et les sensations de sa vie mondaine ont abouti à l’Amour impossible, à la Bague d’Annibal, à la Vieille Maîtresse, au Plus bel amour de don Juan, comme les heures de mysticisme qu’il a traversées sous une influence de femme se sont résumées dans le Prêtre marié. Je citais tout à l’heure le nom de Quincey, le mangeur d’opium. Ce singulier analyste de son propre vice, et si perspicace, avait reconnu que ses visions les plus effrayantes et les plus ravissantes, les plus démesurées et les plus surhumaines, dérivaient toutes des impressions ambiantes. L’ivresse les transformait en les amplifiant, en les interprétant d’une manière grandiose. C’est une vérité acquise aujourd’hui à la science des poisons de l’intelligence. La littérature a son ivresse aussi, qui ne fait qu’interpréter et amplifier les sensations que l’écrivain a subies. Cette transformation-là s’appelle le talent.

Ce qui fait l’intérêt psychologique des Memoranda, c’est précisément que l’on y assiste à ce travail de métamorphose. On y peut saisir à plein comment chez M. d’Aurevilly les impressions s’écri-