Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/113

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fines, dont la câlinerie dissimulait à peine le féroce égoïsme de l’artiste adroit, pour lequel tout n’est qu’un moyen de parvenir, depuis ses habiletés de prosateur jusqu’à ses succès d’alcôve. C’était sur le germe de corruption déposé dans le cœur de Thérèse par ces deux personnages que George comptait secrètement lorsqu’il imaginait une fin probable à la liaison d’Hubert. Il se disait que Mme de Sauve avait dû contracter auprès de ces hommes dont il connaissait les idées et les mœurs, des habitudes de plaisir et des exigences de sensations. Il calculait que la pureté d’Hubert devait un jour la laisser inassouvie, — et, ce jour-là, il était presque immanquable qu’elle le trompât. « Après tout, » se disait-il, « cela lui fera de la peine, mais il apprendra la vie. » George Liauran, pareil sur ce point aux trois quarts des personnes de son âge et de son monde, était persuadé qu’un jeune homme doit se former le plus tôt possible une philosophie pratique, c’est-à-dire, suivant les vieilles formules de la misanthropie, peu croire à l’amitié, considérer la plupart des femmes comme des coquines et interpréter par l’intérêt, avoué ou déguisé, toutes les actions humaines. Le pessimisme mondain n’a pas beaucoup plus d’originalité que cela. Le malheur veut qu’il ait presque toujours raison.