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Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/116

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par faire de leur moi le centre du monde, avec une ingénuité à la fois naïve et féroce. Chez Mathilde, cette autolâtrie avait une excuse : la nature lui avait complètement refusé une faculté d’ailleurs moins commune que l’on ne croirait, et que j’appellerai, faute d’un mot plus exact, l’esprit altruiste, ce pouvoir de se figurer le cœur d’autrui, d’en comprendre les idées, d’en saisir les nuances de sensibilité. Derrière ce masque noble et fier de déesse antique, se cachait cette espèce d’entendement presque animal, très fréquent dans le Midi, et qui pense objet, si l’on peut dire. Elle avait été flattée du dévouement d’Hector, sans en apercevoir le principe secret, la noble pitié de ce poète, d’autant plus poète en action qu’il l’était moins en expression. Elle avait trouvé naturel ce triomphe de sa beauté, et, en consentant à devenir Mme Le Prieux, cru de bonne foi faire un sacrifice à sa mère, qui, beaucoup plus raisonnable, beaucoup plus sensible aussi, avait insisté pour cette union. Mme Duret, elle, avait été vraiment touchée des trésors d’abnégation devinés chez l’amoureux de sa fille. Eclairée par une cruelle expérience, elle avait reconnu dans Hector les qualités précisément opposées aux défauts qui avaient précipité son mari à l’horrible catastrophe. Elle avait donc supplié son enfant d’accepter un protecteur sûr, et celle-ci avait dit « oui », en justifiant l’humilité de ce mariage à ses propres yeux parce qu’elle s’immolait au bien-être de sa mère ! Quoique l’apport du fiancé fût bien modeste, c’était pourtant passer de 4,000 francs