Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/119

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plus à écrire, deux par mois, à 50 francs l’un, ou quarante-huit à 25, soit un par semaine ? Un article de plus par semaine, ce n’est rien. Et, tout naturellement, moins d’un an après son mariage, l’écrivain avait ajouté à son travail deux correspondances hebdomadaires avec deux grandes feuilles de province. Les tea-gowns de Mme Le Prieux étaient assurés, sans qu’elle se fût même aperçue de ce surcroît de besogne. Or, les tea-gowns, convenez-en, supposent, de toute nécessité, un salon où les montrer. Ce salon suppose un « jour », — ce « jour » dont Mathilde avait aussitôt entretenu son fiancé. Ledit « jour » suppose un domestique mâle pour ouvrir la porte, des fleurs pour garnir les vases, des petits fours dans les soucoupes pour offrir avec le thé ou le chocolat, des lampes pour bien éclairer la pièce. Autant de dépenses, sur lesquelles Hector se fût d’autant plus méprisé de lésiner, qu’il était, lui aussi, la dupe d’une étrange illusion rétrospective. Durant ses fiançailles, quand il retrouvait, dans le pauvre appartement de la rue du Rocher, quelques-uns des meubles qui avaient figuré dans l’hôtel du spéculateur millionnaire, il subissait un attendrissement voisin du remords. Ce remords continuait dans son mariage. C’était comme si Mathilde lui eût, en l’épousant, sacrifié la possibilité de ravoir ces splendeurs. Il lui semblait que ce passé de luxe donnait à la jeune femme un droit à une vie plus large, plus élégante, plus conforme à ses primitives habitudes. Un hypnotisme analogue émanait pour Mathilde de ces meubles et de ces bibelots, épaves de son existence