Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/118

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tragédies de famille n’aient pas pour premiers auteurs ceux qui doivent en être les martyrs. Ce sont les pères et les maris, les mères et les épouses qui développent le plus souvent, chez leurs enfants ou leurs conjoints, les défauts dont eux-mêmes se plaindront amèrement un jour. Il est vrai que tant de défauts sont d’abord des grâces : le mensonge débute par la souplesse ; la coquetterie, par le désir de plaire ; l’hypocrisie par la réserve ; — et ainsi du reste. Durant ses premières années de ménage, Hector vit avec délices toutes choses s’harmoniser, dans sa maison et dans sa vie, de manière à mettre en sa pleine valeur la beauté de sa jeune femme. Comment ne se fût-il pas, de mois en mois, d’année en année, réjoui de multiplier allègrement les tâches, afin de doubler les dix premiers mille francs de rente ? Quelle joie de permettre à Mathilde ces menus raffinements si naturels à une jeune et jolie créature, que l’en priver paraît une brutalité ! Entre un chapeau de vingt-cinq francs et une coquette capote de trois louis, entre une robe de cent cinquante francs et un costume pourtant bien modeste de trois cents, entre une jaquette ou des chaussures de confection et un manteau ou des souliers d’un faiseur seulement passable, la différence de façon est déjà si grande et la différence d’argent si petite ! Du moins, comment n’eût-elle pas semblé telle à un mari très amoureux, et pour qui les chiffres de son budget conjugal se traduisaient ainsi : soixante louis de plus par an pour le chapitre de la toilette, soit vingt-quatre articles de