Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/144

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à en pleurer. Elle le reste chez les grandes couturières où elle s’habille maintenant, au Bois, dans sa voiture, que traîne sa paire de chevaux de dix mille francs. Ah ! Elle ne nous en a pas laissé ignorer le prix, pas plus que celui des foies gras et des vins que l’on sert chez elle !… Et ces invitations qu’elle lançait par tout Paris, dans les premiers temps, à des grandes célébrités qu’elle ne connaissait pas, pour se faire un salon ? Et ses gaffes ? Elles sont célèbres. Toi, la femme du monde par excellence, comment les supporteras-tu ? Ma pauvre amie, même avec ton tact et ton doigté, qui est supérieur, tu n’arriveras pas à t’en tirer… » Mme Le Prieux avait laissé parler le journaliste, qui, on le voit, avait pris de son métier l’habitude de causer, un peu comme il écrivait, par morceaux et par tirades. S’il manquait totalement à Mathilde, je l’ai déjà dit, et toute sa vie le montre trop, cette intelligence du cœur d’autrui qui permet seule la vraie délicatesse, elle avait cette autre intelligence, si féminine qu’elle est la femme même, et qui consiste à savoir exactement ce que le plus délicat des grands poètes antiques appelait déjà « les abords faibles de l’homme et ses moments ». Elle avait eu son idée en ne coupant pas la « tartine » de Le Prieux. La grande objection à un mariage qu’elle avait, on le devine, préparé savamment n’était pas celle qui venait du plus ou moins de distinction de Mme Faucherot, de la maison Hardy,