Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/148

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vie. Son mari et elle ont fait de l’argent, nous avons fait, nous, des relations. Ce n’est pas ta faute, si nous n’avons rien à donner à Reine, mon ami, c’est celle de ton métier. Je le savais quand je t’ai épousé, mais je me suis promis d’épargner à notre enfant, si c’était possible, tant de soucis que nous avons eus… Bon. Nous voici au journal. Ne te dépêche pas, corrige tes épreuves, j’attendrai tout le temps qu’il faudra… » Le coupé avait en effet tourné le coin de la rue Drouot, comme la généreuse Mathilde accordait ce magnanime pardon à son mari, et lui faisait, avec condescendance, cette offre d’une attente de trente minutes, dans une voiture très capitonnée et très chauffée. Pourquoi celui-ci, en descendant de cette voiture et en gravissant de ses bottines vernies les marches contaminées de l’escalier, se rappela-t-il soudain les yeux bruns de Reine et la tristesse de leur regard ? Quel rapport y avait-il donc entre ce regard et les paroles qu’avait prononcées sa mère ? Pourquoi aussi, tandis que le brave Cartier — comme il l’avait appelé, — lui tendait ses épreuves, le journaliste voyait-il distinctement, au lieu des feuillets maculés, sur lesquels sa plume machinale traçait les signes cabalistiques des corrections, oui, pourquoi voyait-il le paysage de Provence qu’il n’avait contemplé qu’une fois pendant douze heures, au mois de septembre, en passant, au retour d’un congrès de presse : le mas des Huguenin, abrité du mistral par le rideau noir de ses cyprès, les lignes des ceps, étalant leurs feuilles découpées et