Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/20

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le voulussent ou non, leur enseignement aboutissait au plus entier fatalisme. L’historien de la Littérature Anglaise nous apprenait à considérer toute civilisation comme le produit de la race, du milieu et du moment, tandis que l’auteur de la Vie de Jésus nous montrait l’évolution de la pensée religieuse à travers les âges comme dominée par des lois naturelles, aussi fixes que celles qui gouvernent le développement d’une espèce animale ou végétale. De telles hypothèses peuvent se concilier, chez des hommes faits, avec les scrupules de la moralité et les énergies de l’action. Pour des jeunes gens, elles ne dégageaient qu’un principe de négation et de pessimisme, et cela, précisément à l’heure où les désastres de la guerre et de la Commune venaient de frapper si durement la patrie et d’imposer à nos consciences l’évidence du devoir social, l’obligation de l’effort utile et direct. L’antithèse était trop aiguë entre les théories professées par nos maîtres les plus admirés, les plus aimés, et les besoins d’action que l’infortune du pays, nous mettait, malgré nous, au cœur. Cette antithèse, un au moins des deux grands écrivains que je nommais tout à l’heure l’a certainement sentie lui-même. Si M. Taine n’avait pas redouté l’influence paralysante de son œuvre, aurait-il voué son âge mûr aux énormes travaux d’histoire contemporaine qui font de son dernier et magnifique livre le bréviaire politique de tout bon Français ? Il lui a fallu un opiniâtre labeur d’un quart de siècle pour opérer une réconciliation entre la Croyance et la Science, entre la morale