Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/220

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que je ne peux pas être votre femme, c’est que Je ne le peux pas, et que si je ne vous en dis pas la raison, c’est que je ne le peux pas davantage… Non, » répéta-t-elle avec une force presque sauvage, « je ne peux pas ! » II y a, dans les entretiens comme celui-là, engagés avec le fond même de la personne, des moments où l’une des deux volontés s’affirme avec une si imbrisable vigueur que la discussion s’arrête du coup. Quand Reine eut ainsi prononcé son dernier « je ne peux pas », Charles se sentit devant l’irréductible. Les jeunes gens firent quelques pas en silence, — elle, épuisée par l’énergie qu’elle venait de déployer ; lui, comme affolé de se heurter, pour la première fois de sa vie, contre cet impénétrable du cœur de la femme, la pire des tortures en amour. Il la regardait, avec des émotions qu’il eût juré ne devoir jamais éprouver auprès d’elle, irritées jusqu’à en être haineuses. L’honnête et simple garçon ne savait pas à quelles irrésistibles frénésies l’élancement aigu de la passion emporte une âme masculine, soudain aliénée d’elle-même par l’excès de la douleur impuissante. Il la regardait, et les douces prunelles brunes de la jeune fille, l’idéale noblesse de son profil, la grâce de ses joues minces, les fines lignes de sa bouche frémissante avec ses lèvres un peu renflées, la soie souple de ses cheveux châtains, sa taille frêle, tout ce charme de jeunesse, qui l’attendrissait d’habitude, soulevait maintenant en lui un cruel appétit de la meurtrir, de la briser, tant l’invincible résistance émanée