Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/226

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s et trop aisément irrévocables. Le même manque d’expérience qui leur donne une telle ferveur vers l’Idéal les rend aussi incapables de mettre à un plan exact leurs premières désillusions, dans cet élancement au bonheur. Ne s’étant pas encore usées à de diminuantes épreuves, elles rêvent d’un absolu dans les émotions, qui n’est pas de ce monde ; et de le constater les désespère. Reine s’était acheminée vers ce rendez-vous d’adieu, on se le rappelle, l’âme exaltée, même dans sa détresse, par cette idée qu’elle pourrait, en faisant appel à l’amour de son cousin, accomplir ce qu’elle considérait comme son impérieux devoir de fille, taire pourtant la nature de ses mobiles et ne pas être méconnue. Le résultat était que Charles venait de lui dire qu’il ne croyait pas en elle. La seule consolation qu’elle pût avoir, dans son mortel sacrifice, lui était enlevée du coup. En même temps, il lui semblait avoir découvert chez celui qu’elle aimait un homme qu’elle ne connaissait pas, et qui l’épouvantait. Quel regard de haine elle avait surpris dans ses yeux, quel frémissement de cruauté sur sa bouche, quel accent mauvais dans sa voix ! Et ce qui achevait de l’affoler, plus que cette déception et que cette terreur, c’était le sursaut indigné au contact d’une trop dure iniquité. Ce frémissement de révolte grandissait en elle à la réflexion, tandis qu’elle marchait, aux côtés de la douce Fanny Perrin, d’un pas toujours plus rapide et plus fiévreux, un vrai pas de fuite, loin, plus loin de cette terrasse où elle avait entendu ces mots