Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/248

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de nous, éveille, dans les arrière-fonds de notre être, un sentiment intense et presque obsédant de la race. Venant de subir un malheur qu’a subi notre père dans des circonstances analogues, ou voyant notre enfant sur le point de recevoir un coup que nous avons reçu nous-mêmes, la profonde unité du sang se révèle à nous, et trouble étrangement notre cœur. Appliquée au passé, à ceux qui nous ont légué leurs vertus et leurs faiblesses, cette impression aboutit à une espèce de mélancolie presque pieuse, qui pardonne toutes les fautes et remercie de tous les bienfaits. Tournée vers l’avenir, vers ceux à qui nous avons transmis cette âme de la famille dont nous ne sommes qu’un moment, cette impression se transforme en un profond et poignant désir d’atténuer pour eux, de leur épargner, si nous le pouvons, les épreuves héréditaires. Cela fait des heures indéfinissables où nous ne savons pas s’il s’agit de nous, de notre père ou de notre enfant. C’est ainsi qu’en évoquant, le long des trottoirs de ces vieilles rues parisiennes et devant la façade, restée la même, de son hôtel d’étudiant, les images de sa lointaine jeunesse, Hector n’aurait pu dire s’il pensait à lui-même ou à sa fille, tant il percevait avec une évidence presque insupportable l’analogie de son sort et de celui qui menaçait Reine. Que lui disait cette façade de l’hôtel Michel-Ange, devant laquelle il se tenait immobile maintenant, sinon qu’il y avait eu là, autrefois, dans une des chambres de cette pauvre maison meublée, — la seconde, au troisième