Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/25

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Il m’apprend qu’il s’occupe de médecine, et je l’entends, au cours de cet entretien, qui aurait dû être tout superficiel, m’expliquer ce choix de carrière par des motifs d’un ordre si spécial, si analogue à mon tour d’esprit habituel que, du coup, j’étais son ami. A l’âge que nous avions l’un et l’autre, certaines ressemblances dans la manière de sentir équivalent à des années d’intimité :

— « Mon père et ma mère, » disait-il, « désiraient qu’après mon volontariat je fisse mon droit. Mon père a été, trente ans de sa vie, huissier au ministère de l’Intérieur. Il s’est retiré depuis l’année dernière. Il a le culte de l’administration. Il me voyait d’avance sous-préfet. Je serais rentré dans son type social. Heureusement il est si bon pour moi. Ma mère aussi. Pourvu que je ne les quitte point, ils sont contents. Quand je leur ai déclaré que je voulais faire ma médecine, ils ont bien été un peu étonnés, mais ils ont consenti. Je leur ai donné comme prétexte qu’avec l’instabilité politique actuelle, les fonctions d’État n’offraient plus les mêmes garanties que sous l’Empire. Je ne leur ai pas dit ma vraie raison. Les braves gens n’ont pas d’autre philosophie que celle du cœur, ils n’auraient pas compris mon point de vue. Toi, tu le comprendras… Ce qui m’a décidé à prendre cette voie, cela peut te sembler singulier, c’est le besoin de certitude. Mon goût personnel m’eût entraîné vers des études plus abstraites. Je serais entré à l’École normale, pour m’occuper de métaphysique, si je n’avais pas lu Kant et aussi l’Intelligence de Taine. Il