Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/27

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et satisfaire comme tous les instincts, et qui consiste dans un besoin de nous associer à nos semblables, de les aider et d’en être aidé, en face de la nature hostile. Qui accomplit cette tâche mieux que le médecin ? Il est l’altruiste par excellence. Il est dans le vrai, quel que soit le postulat métaphysique auquel nous, nous rangions. Et la preuve, c’est que depuis le jour où j’ai pris ma première inscription et passé le seuil de l’hôpital, j’ai goûté une espèce de calme que je ne connaissais pas. J’ai eu l’évidence qu’intellectuellement et moralement j’avais les pieds par terre, que je marchais sur du solide… Enfin, je n’ai plus douté… »

Que Corbières était frappant à contempler tandis qu’il me parlait ainsi ! La flamme de la pensée transfigurait son visage irrégulier et plutôt laid. Ce fils d’un petit employé de ministère trahissait, par la construction de tout son corps, cette hérédité mi-paysanne, mi-citadine, qui n’a ni l’intégrité de la force rustique ni l’affinement de la vraie bourgeoisie. Il avait de gros os et peu de muscles, des traits épais et le sang pauvre. La beauté des yeux et de la bouche corrigeait cet air de chétiveté. C’était une bouche d’une bonté charmante, qui souriait avec une libre ingénuité, et c’étaient des yeux bleus d’une loyauté telle qu’il semblait impossible que l’homme qui regardait de ce regard pût jamais mentir. Avec cela, une voix prenante, dans laquelle frémissait l’ardeur de la conviction intime. En faut-il davantage pour expliquer l’impression profonde que me produisit ce discours, du texte duquel je suis bien