Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/28

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sûr ? Je le transcrivis, le soir même, sur mon journal de cette époque, avec beaucoup d’autres détails inutiles à rapporter, où je retrouve les indices du coup de foudre d’enthousiasme que je reçus là, sous les arbres verdissants du vieux jardin. J’imagine, j’espère, qu’aujourd’hui comme alors, ces paisibles allées, au bord desquelles se dressent les statues des reines et les bustes des poètes, servent de théâtre à des conversations entre jeunes gens, du ton exalté de celle dont j’évoque le souvenir lointain. Des heures pareilles sont tout ce que je regrette d’une jeunesse mal gouvernée, et aussi la naïve plasticité d’âme, qui permet les nobles engouements comme celui qui me fit, cet après-midi même, abandonner mes projets, pour accompagner Eugène jusque chez lui. Nous n’y fûmes pas plutôt arrivés qu’il me proposa de me reconduire à son tour. Il était nuit close quand nous nous quittâmes, après avoir touché, durant cette interminable causerie, à tous les objets de la pensée humaine, et pris rendez-vous pour le lendemain matin. Je devais accompagner mon camarade à la Pitié, dont il suivait la clinique :

— « Je crois, » lui dis-je, en lui serrant la main, « que je vais faire comme toi et me mettre à la médecine… » Je ne me suis pas mis à la médecine, et cette soudaine résolution d’imiter Corbières se réduisit à quelques séances d’hôpital qui eurent du moins ce bon effet de me placer en présence d’un peu de réalité. C’était le contact dont j’avais le plus besoin.