Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/284

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Prieux avec un accent de véritable détresse, « ne le dis jamais, ne le pense jamais… C’est parce que ta mère t’aime beaucoup, au contraire, qu’elle vient d’avoir au sujet de ton mariage ce mouvement passionné… Il passera. Je la verrai tout à l’heure. Je lui expliquerai. Elle comprendra. Et si elle ne comprend pas tout à fait, tu dois te dire que c’est ta faute… Mais oui ! Tu me ressembles, ma pauvre Reine, tu ne sais pas te montrer. Tout ce que ta mère a fait dans cette circonstance, comme toujours, elle l’a fait pour ce qu’elle croit être notre bien, à toi et à moi. Elle a eu pour nous l’ambition qu’elle aurait voulu qu’on eût pour elle. On peut tout demander à quelqu’un, vois-tu, excepté de changer sa façon de sentir la vie. Elle était née une grande dame, et nous autres nous sommes, au fond, tout au fond, des paysans. Nous ne sommes pas des gens d’ici. Elle ne peut pas savoir cela… Et surtout, ne lui en veux jamais à cause de moi, comme je t’ai vue quelquefois tentée de le faire, mon enfant. Je t’ai dit la vérité tout à l’heure. Quelques articles de plus ou de moins à écrire, qu’est-ce que cela me fait ?… Je sais. Tu rêves toujours que je publie des livres, que je me remette à composer des vers, un roman… C’est trop tard, trop tard. Je serais libre, j’aurais tout mon temps à moi, que je ne pourrais plus… Je t’ai trop laissé voir que cela me rendait triste. C’est vrai. J’ai été souvent triste ces dernières années. J’ai eu l’air d’un homme qui a manqué sa vie. Tu m’as trop cru, ma douce Reine, quand je proférais des plaintes qui signifiaient cela.