Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/296

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e aussitôt cette confidence, par endroits puérile, par d’autres un peu minutieuse, d’un homme qui d’habitude, ne se confesse guère. Je crus y voir une preuve, saisissante, de ces deux vérités, également méconnues : l’une, que les mauvaises passions de l’âge mûr sont déjà en germe et toutes prêtes à s’éveiller dans l’innocence de l’enfant, l’autre, que la plus sûre guérison de ces vices précoces est dans la magnanimité de l’éducateur âgé… J’ajouterai, pour situer ce récit dans son cadre exact, que l’artiste qui nous le fit, venait d’obtenir un de ses plus éclatants succès. A cette occasion, un des compagnons de ses années de début l’avait bassement diffamé dans un journal. Il nous avait parlé le premier de cet article. Puis la causerie s’était prolongée sur l’envie, sur cette hideuse passion, qui est la tare professionnelle des amants de la gloire. Nous nous défendions tous, plus ou moins sincèrement, de l’avoir jamais éprouvée, quand, à notre grand étonnement, notre camarade, que nous savions si généreux dans sa renommée, si enthousiaste du talent de ses rivaux, si étranger aux mesquineries des rivalités de boutiques, nous interrompit pour nous dire : « Hé bien ! moi, j’étais né envieux, il faut que je vous l’avoue. C’est même ce qui me rend indulgent pour des malheureux comme ***, » — et il nomma son diffamateur. « Lorsque je lis un morceau de ce genre, et que je suis sur le point de m’indigner, je me souviens d’avoir, moi-même, commis, par envie, une abominable action, et si je n’avais pas rencontré alors, pour m’en faire honte,