Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/313

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jambes, et dont les enfants se relèvent, comme les ivrognes, contusionnés, mais intacts. Octave était auprès de moi, pâle de terreur. Sa voix tremblait pour me demander : — « Vous ne vous êtes pas fait mal ?… » — « Pas du tout, » répondis-je, en me redressant, et, pour démontrer la véracité de ce mensonge héroïque, je me mis à courir dans le jardin, quoique mes membres fussent cruellement endoloris… Mais l’humiliation avait été trop forte, et un frémissement de véritable haine palpitait en moi contre mon jeune compagnon, de qui la gentille nature se montra cependant, au silence qu’il garda sur le caractère de ma chute, lorsque nous revînmes au salon après avoir joué dans le jardin, et que je dis, pour expliquer mes écorchures et l’état de mes vêtements : — « J’ai fait un faux pas sur l’escalier… » — « Comment trouves-tu ton nouveau camarade ? » me demanda mon oncle, quand nous fûmes restés seuls, lui, le docteur Pacotte et moi, après le départ de tous les visiteurs. C’était encore là une des coutumes du dimanche. Les deux vieux garçons, le mathématicien et le médecin, dînaient, ou, pour prendre l’expression du pays, soupaient en tête-à-tête, à cinq heures et demie, et ils m’asseyaient à table entre eux, comme un petit animal apprivoisé, de la présence duquel ils ne se doutaient même plus. Quelles causeries j’ai entendues ainsi entre ces deux hommes qui vivaient uniquement pour les idées, — admirables quand ils ne parlaient pas politique ! Je n’étais pas d’âge à comprendre