Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/324

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cela peut-il être ? » dit mon oncle. « Il est dix heures et demie. Je suis sûr qu’Octave vient savoir de tes nouvelles en sortant de sa classe. Il a tant de cœur et il t’aime tant… Oui, c’est lui, et il t’apporte ton prix… On n’a pas plus de gentillesse… » Octave entrait en effet dans la chambre, avec un livre à la main, — le maigre volume qui représentait mon second prix d’excellence, et dont il s’était chargé ! Il n’avait pris que le temps de passer chez lui, pour annoncer son succès à M. Montescot. Il portait sous le bras les deux gros bouquins dorés sur tranche qui représentaient son premier prix, à lui, et dont sa bien excusable vanité n’avait pas voulu se séparer. Mais ce ne fut pas cette antithèse qui surexcita mon envie jusqu’au paroxysme. Ce fut de le voir, qui détachait de son gilet une chaîne que je ne lui connaissais pas, et, de sa poche, un bijou que je ne lui connaissais pas davantage, et c’était, à l’extrémité d’une chaîne, en or comme elle, une montre à son chiffre, qu’il me mit dans la main, en me disant : — « Regarde le cadeau que m’a donné mon parrain, pour mon prix. » Je tenais le précieux objet. Pour bien vous faire comprendre les sentiments qui m’agitaient à cet instant, il faut vous dire que je ne possédais comme montre qu’un très ancien oignon d’argent. D’avoir une montre comme celle dont le fauve métal brillait, pour une minute, entre mes doigts, était un de mes passionnés désirs, vous savez, une de ces fantaisies secrètes dans lesquelles une imagination