Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/334

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comme s’il m’avait réellement calomnié et qu’il me dût une espèce de réparation. Expliquez cela encore. Sa sévérité depuis des mois m’était très pénible ; l’injurieux soupçon, deviné dans ses paroles m’avait révolté, et sa gâterie m’était presque insupportable ! Je sentais trop que je ne la méritais pas. En sortant, j’étouffais littéralement de honte… Combien de temps aurait duré cet état, avec les alternatives de désir d’aveu et de silence ? Serais-je arrivé à prendre sur moi de révéler ma faute à mon oncle ? Ou bien en aurais-je porté le poids — sur la pensée, indéfiniment — jusqu’à ma prochaine confession, qui serait arrivée, quand ? Mon brave oncle étant libre-penseur, je ne remplissais que le minimum de mes devoirs religieux. Qui sait ? N’aurais-je même pas menti au cours de cette confession, à force de m’être endurci dans ce silence, et peut-être dans une recrudescence de ma passion d’envie ?… Heureusement j’avais, auprès de ma jeune sensibilité, dans la personne du vieux médecin, un de ces grands connaisseurs des misères du cœur qui cherchent à faire du bien à ceux qui les entourent, moins par charité que par goût intellectuel de la loi, par amour de la santé, en eux et autour d’eux. Ce fanatique d’hygiène avait un peu, pour ses malades, le sentiment que le poète antique prête à la Déesse de la Sagesse : « J’aime les hommes comme le jardinier aime ses plantes… » Il allait me traiter comme un des arbustes de son jardin, et donner le coup de serpe juste à l’endroit qu’il fallait pour que la