Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/333

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avait tiré la montre de sa poche pour que je pusse l’examiner, avait-il aussitôt suggéré à cette judicieuse pensée la véritable explication ? Toujours est-il qu’à l’accent seul de la voix du vieillard je compris qu’il avait déjà l’idée que c’était moi le coupable. Je l’entends encore insistant : — « D’ailleurs, ce coquin n’est pas seulement un monstre. C’est un imbécile, comme tous les coquins. Il ignore sans doute qu’il y a un numéro dans le boîtier de toutes les montres, et par conséquent, le jour où il voudra la vendre, il sera pris… » Ainsi le meilleur ami de mon oncle me croyait un voleur ! Explique qui pourra les étranges détours de l’orgueil humain, toujours pareils, même chez un gamin de onze ans. Certes, j’étais bien criminel d’avoir, par envie, brisé, comme j’avais fait, la précieuse montre où le professeur démissionnaire avait dû engloutir ses pauvres économies d’une année. Je n’étais pas coupable de cela. Je n’avais pas volé cette montre pour la vendre, et que le docteur me crût capable de cette infamie me fit redresser la tête, avec indignation, et le regarder. Un cri de protestation fut sur mes lèvres, qui ne s’en échappa point. Il y avait dans le salon tous les habitués, et comment aurais-je pu supporter de parler devant eux ? Mais non. J’avais dû me tromper, car M. Pacotte avait déjà changé de sujet de conversation, et, ni dans la suite de l’après-midi, ni dans le souper où j’étais assis auprès de lui, il ne fit une seule allusion à la disparition de la montre d’Octave. Il fut, au contraire, particulièrement affectueux pour moi,