Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/344

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pois. Mais ce joli garçon perdra son temps chez nous… Ce doit être une idée de R… Nos dames ne s’y laisseront pas prendre… » J’étais bien incapable de traduire dans sa brutalité vraie la phrase du vieil avocat orléaniste, et je doute encore à présent que le ministre de l’Intérieur de 1859 ait eu le machiavélique et naïf projet d’envoyer dans notre département un séducteur professionnel, pour rallier l’opinion féminine au régime nouveau. Une bonne distribution de bureaux de tabac et de rubans rouges suffisait ! Mais ce commentaire énigmatique de mon grand-père soulignait trop le caractère d’exception comme répandu sur toute la personne de M. de Norry, pour que le nouveau venu dans notre ville ne devînt pas aussitôt l’objet de ma curiosité passionnée. Jusqu’à ce terme inusité de « Fleur des Pois » irritait encore cette curiosité. Quel rapport pouvait-il bien y avoir entre cette fleur que je connaissais si bien pour l’avoir tant vu blanchir les lignes vertes de notre potager et ce jeune homme aux belles mains, au sourire charmeur ? Qui étaient ces « bandits » dont mon aïeul parlait avec une si visible rancune et qui auraient envoyé M. de Norry chez nous, pourquoi ?… Comment R… s’y trouvait-il mêlé, un ancien avocat d’ici, jadis partisan de la monarchie de Juillet, comme mon oncle, aujourd’hui brouillé avec lui et ministre ! Si je n’avais pas « cristallisé » autour de ces premières sensations avec toute la force imaginative de mes treize ans, il est probable que la petite tragédie à laquelle j’arrive aurait